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croire dans l’enfance de la science, mais ce que le progrès des connaissances l’autorise à croire aujourd’hui, nous nous trouverons en droit de regarder cette loi fondamentale, bien qu’inférée par induction de lois particulières de causalité, comme non moins certaine, et comme plus certaine, qu’aucune des lois dont elle a été tirée. Elle leur communique autant d’évidence qu’elle en reçoit[1]. »

31. — Mill estime donc avoir fourni la démonstration qu’on pouvait exiger de l’empirisme. Nulle part il n’a fait intervenir une fonction qui appartiendrait en propre à l’intelligence et qui attesterait une activité originale de notre pensée. Il a laissé l’expérience se déposer elle-même dans notre esprit, la nature s’inscrire elle-même dans la science. Il a réussi à montrer comment les uniformités observées suggérèrent la croyance à d’autres uniformités particulières, puis la croyance à l’uniformité en général, à l’uniformité universelle, comment par suite la loi de causalité s’insérait dans le réseau des propositions purement empiriques, jouant le même rôle dans l’établissement des lois physiques que les axiomes dans la déduction des mathématiques, ou les majeures dans la mise en forme syllogistique.

Si la démonstration de Mill est correcte, il est vrai de dire que la causalité est une donnée de l’expérience pure ; mais cette proposition n’a plus la signification sceptique qu’un Hume lui attribuait. L’empirisme aura désormais le moyen, non seulement de dissiper l’apparence de cercle vicieux que présente sa théorie de la causalité, mais de tourner cette apparence à son avantage ; car ce cercle est, en réalité, conforme à la nature des choses, à la façon dont l’esprit humain a pris contact avec cette nature des choses, et s’est laissé instruire par elle ; il montre comment la croyance à la causalité s’est formée, puis étendue peu à peu, devenant de plus en plus probable et s’approchant enfin de la certitude.

  1. III, xxi ; P. II, 101