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La solution donnée par Mill au problème du syllogisme est aussi celle qu’il propose pour le problème de l’induction. En effet, la loi de causalité pourra être envisagée de la même façon que la majeure du syllogisme, comme une « étape intermédiaire », comme le résumé et l’enregistrement d’observations particulières. « Ce serait se tromper gravement de donner cette vaste généralisation pour une explication du procédé inductif. Tout au contraire, je maintiens qu’elle est elle-même un exemple d’induction, et d’une induction qui n’est ni des plus faciles ni des plus évidentes. Loin d’être notre première induction, elle est une de nos dernières ou, à tout prendre, une de celles qui atteignent le plus tard une exactitude philosophique rigoureuse. Comme maxime générale, elle n’est entrée que dans l’esprit des philosophes, lesquels, comme nous aurons plus d’une occasion de le remarquer, n’en ont pas toujours bien apprécié l’étendue et les limites. La vérité est que cette grande généralisation est elle-même fondée sur des généralisations antérieures. Elle a fait découvrir les lois de la nature plus cachées ; mais les plus manifestes ont dû être connues et admises comme vérités générales avant qu’on pensât à ce principe. On n’aurait jamais pu affirmer que tous les phénomènes ont lieu suivant des lois générales si l’on n’avait pas d’abord acquis, à l’occasion d’une multitude de phénomènes, quelque connaissance des lois elles-mêmes[1]. »

Pris dans son ensemble, le raisonnement inductif rentre dans le même cadre que le syllogisme suivant Mill, le syllogisme interprété en extension ; c’est-à-dire qu’il constitue, lui aussi, une inférence du particulier au particulier. Et par là se trouve éliminée, comme dans la théorie du syllogisme, l’apparence de cercle vicieux auquel l’empirisme semble condamné lorsqu’il fonde tour à tour l’induction sur la causalité, la causalité sur l’induction. « Nous n’aurions jamais eu l’idée que la causalité, au sens philosophique du terme, fût la condition de tout phénomène, si nous n’avions observé un grand nombre de cas de causalité ou, en d’autres termes, d’uniformités partielles de succession. Les uniformités particulières les plus faciles à constater suggèrent l’idée d’une uniformité générale et la prouvent. L’uniformité générale, une fois établie, sert à démontrer le reste des uniformités particulières dont elle est composée[2]. »

  1. III. iii ; P. I., 318.
  2. III. xxi ; P. II, 98.