Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la solution chez un philosophe de l’école écossaise : « Dugald-Stewart a justement remarqué que, bien que les raisonnements en mathématiques dépendent entièrement des axiomes, il n’est pas du tout besoin de penser expressément aux axiomes pour juger de la validité de la démonstration. Lorsqu’on conclut que A B est égal à C D, parce que chacun est égal à E F, l’intelligence la plus inculte acquiescera à la conclusion sitôt que les propositions seront comprises sans avoir jamais entendu parler de cette vérité générale que les choses égales à une même chose sont égales entre elles. Cette remarque de Stewart, suivie avec conséquence, touche, il me semble, à la racine de la philosophie du raisonnement ; et il est à regretter que lui-même se soit arrêté tout court à une application beaucoup trop restreinte[1]. »

La généralisation de la remarque de Stewart va fournir à Mill sa théorie du syllogisme, d’où il tirera sa conception de la loi de causalité.

De la majeure du syllogisme nous pouvons dire ce que Stewart dit de l’axiome mathématique : elle n’est nécessaire ni pour la formation spontanée du raisonnement, ni pour l’intelligence de sa solidité : « L’enfant, qui, ayant brûlé son doigt, se garde de l’approcher du feu, a raisonné et conclu, bien qu’il n’ait jamais pensé au principe général : le feu brûle[2]. » L’énonciation du principe n’est sans doute pas indifférente pour la marche de nos opérations intellectuelles : elle facilite l’enregistrement des connaissances acquises ; mais à l’inférence qui en constitue la valeur intrinsèque, elle est incapable de rien changer : « Lorsque nous concluons de la mort de Jean, de Thomas et de tous les individus dont nous avons entendu parler, que le duc de Wellington est mortel comme les autres, nous pouvons sans doute, comme station intermédiaire, passer par cette généralité que tous les hommes sont mortels. Mais ce n’est pas dans cette dernière moitié du chemin qui va de tous les hommes au duc de Wellington que réside l’inférence. L’inférence est faite quand nous avons affirmé que tous les hommes sont mortels. Ce qui reste à faire après est le simple déchiffrage de nos notes… La mortalité de Jean, de Thomas et des autres est, après tout, la seule garantie que nous ayons de la mortalité du duc de Wellington. L’intercalation d’une proposition générale n’ajoute pas un iota à la preuve[3]. »

  1. II. iii ; P. I, 213.
  2. Ibid ; P. I, 210.
  3. Ibid ; P. I, 209.