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Or l’empirisme ne devrait-il pas reconnaître que, sur ce point, l’avantage, en apparence du moins, appartient à la doctrine adverse ? le rationalisme confère immédiatement au rapport simple qui a été dégagé par l’analyse expérimentale, la forme de nécessité et d’universalité, en laquelle se reconnaît le caractère propre de la raison. Mais c’est précisément ici que John Stuart Mill a l’ambition de combler, dans l’école à laquelle son père l’a voué, une lacune qui avait fait jusque-là manquer tout à la fois la théorie de la causalité et la théorie de la science. Il prétend démontrer comment le rapport constaté entre l’antécédent inconditionnel et le conséquent peut être érigé en rapport invariable, universel, sans postuler aucune intervention originale de l’intelligence, considérant exclusivement l’apport fourni du dehors par l’expérience et en laissant s’accumuler passivement les seules données de l’expérience : « We have no ulterior test to which we subject experience in general ; but we make experience its own test[1]. » L’empirisme pourra justifier les valeurs de la science en faisant reposer sur l’expérience toute seule le lien de causalité.

Il est donc permis de dire que Mill, lui aussi, répond à Hume. Mais il le fait en se conformant strictement au principe et à la méthode que Hume avait acceptés comme donnant entière satisfaction à l’exigence humaine de vérité, en allant jusqu’à tirer de ce principe et de cette méthode un système de logique parallèle à la déduction syllogistique, et d’autant plus capable de l’égaler en rigueur démonstrative qu’au fond, pour Mill, les difficultés sont du même ordre, qu’elles comportent des solutions analogues, et dans le vieil Organum d’Aristote, et dans le Novum Organum de Bacon.

29. — Selon la doctrine empiriste, le syllogisme ne peut être interprété que du point de vue de l’extension. L’universelle est alors un simple résumé des cas particuliers ; la prendre comme majeure pour en déduire des cas particuliers, c’est donc aller de ce qui a été connu postérieurement à ce qui a été connu originellement. La conclusion soutient les prémisses ; et c’est par les prémisses que l’on veut établir la conclusion. Le syllogisme, si longtemps vanté comme le modèle le plus parfait du raisonnement logique, est l’illustration la plus frappante, pour ne pas dire la plus grossière, du cercle vicieux, qui est le sophisme par excellence.

L’embarras semble inextricable. Mais Mill en a rencontré

  1. III, iv ; P. I, 361.