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commencer par écarter, dans la conception de la causalité, toute considération qui dépasse le plan de l’observation sensible : « Certains faits succèdent et, croyons-nous, succéderont toujours à certains autres faits. L’antécédent invariable est appelé la cause, l’invariable conséquent, l’effet ; et l’universalité de la loi de causation consiste en ce que chaque conséquent est lié de cette manière avec quelque antécédent ou quelque groupe d’antécédents particuliers[1]. »

Par crainte d’équivoque, Mill prend soin d’ajouter qu’une telle définition n’implique nullement la réduction de la causalité à la succession pure et simple : « Nous ne disons pas que la nuit est la cause ou même la condition du jour. L’existence du soleil (ou d’un corps lumineux semblable) et l’absence d’un corps opaque, placé en ligne droite entre cet astre et le lieu de la terre où nous sommes, en sont les seules conditions, et la réunion de ces conditions, sans autre circonstance superflue, constitue la cause[2]. » Ou, suivant la formule à laquelle Mill semble s’arrêter : « La cause, philosophiquement parlant, est la somme des conditions positives et négatives prises ensemble, le total des contingences de toute nature qui, étant réalisées, font que le conséquent suit invariablement[3]. »

28. — Cette conception de la causalité soulève un problème qui n’est plus du ressort de la logique inductive : le problème de l’invariabilité. Une fois que le savant, obéissant aux règles de l’expérimentation, a mis en lumière le rapport de succession entre le groupe des antécédents et le groupe des conséquents, qu’est-ce qui l’autorise à l’affirmation que ce rapport est indépendant de l’instant déterminé et de l’endroit particulier où il se produit, que, les circonstances réapparaissant, il se reproduira et toujours et partout ? Une telle question pose, d’une façon directe, le problème de la causalité ; car, par le jeu des méthodes, on peut bien prouver que, parmi les antécédents du phénomène B, aucun ne peut en être la cause sinon A ; mais que cette cause soit réellement A, et que toute apparition de A entraîne l’apparition de B, « c’est ce qui n’est pas prouvé, cela est seulement pris pour accordé[4] ». Les méthodes inductives supposent la loi de la causalité, et elles en réclament la justification.

  1. III, v ; P. I., 370.
  2. Ibid. ; P. I., 380.
  3. Ibid. ; P. II, 375.
  4. III, xxi ; P. II, 93.