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potasse sous l’action de l’électricité, en obtenant à l’un des points d’électrisation, à la surface supérieure, une effervescence violente, « à la surface inférieure ou négative » un corps nouveau : « la base de la potasse » (qu’il a, dans son Mémoire de 1808, appelée potassium). De cette seule expérience il était légitime de conclure cette proposition universelle : la potasse est une combinaison de potassium et d’oxygène.

La différence qu’il y a entre l’un et l’autre cas a été pour la première fois expliquée par Bacon. Quand nous observons des cygnes, nous sommes en présence d’un faisceau complexe de phénomènes ; nous enregistrons une concordance générale entre la structure de l’organisme et la couleur des plumes, sans être en état d’apprécier la portée de cette concordance, d’assurer qu’elle est fondée dans la nature des choses. Il en est tout autrement pour la découverte du potassium ; le chimiste, ayant affaire à un corps chimiquement pur avant l’opération, recueille après l’opération des éléments eux-mêmes plus simples, et se trouve ainsi autorisé à affirmer le passage de l’un aux autres, comme objectivement fourni par l’expérience elle-même. La science moderne s’est constituée lorsque l’homme a étendu aux relations de causalité le procédé de décomposition mécanique que l’atomisme antique avait appliqué seulement à l’agrégat des substances matérielles : « C’est déjà quelque chose que d’être arrivé à voir que l’étude de la nature est l’étude non d’une loi, mais de lois, d’uniformités, au pluriel… que la régularité existant dans la nature est un tissu composé de fils distincts, qui ne peut être étudié qu’en suivant chaque fil séparément, travail pour lequel il est nécessaire souvent de défaire quelque morceau de toile et d’examiner les fils un à un. Les règles de l’expérimentation sont les moyens inventés pour effiler le tissu[1]. »

27. — Les règles de l’expérimentation constituent le canon de la logique inductive. En précisant certaines vues de Bacon sur la nécessité des « réjections légitimes », Mill réussit à constituer un système de symbolisme littéral, à l’imitation des Premiers analytiques, d’Aristote. Or, une fois que ce travail d’élimination a été correctement accompli, et qu’il ne reste en présence qu’un antécédent — ou un groupe simple d’antécédents — et un conséquent, a-t-on le droit d’affirmer que l’antécédent est la cause du conséquent ? La simplicité de la relation peut-elle suffire à en fonder l’objectivité ? Avant de pouvoir répondre affirmativement à une telle question, il faut

  1. III, iv ; P. I., 359.