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LIVRE III

L’Expérience externe.




24. — William James a dédié une série de leçons sur le Pragmatisme « à la mémoire de John Stuart Mill, qui, le premier, m’enseigna la largeur d’esprit du pragmatiste, et dont j’aime à me persuader qu’il serait aujourd’hui notre chef s’il était encore parmi nous ». L’intention de James était assurément excellente. Il faut toutefois rendre justice à Mill. On dirait, à lire son System of Logic ratiocinative and inductive (1843), qu’il avait prévu le mauvais compliment et qu’il avait tout fait pour se l’éviter. À cette largeur d’esprit dont les pragmatistes s’attribuent le monopole, il oppose avec une grande insistance, au chapitre XXI du livre III, la probité ou, si l’on préfère, la rigidité du logicien : « La preuve n’est pas la force à laquelle l’esprit cède et se trouve contraint à céder ; c’est celle à laquelle il devrait céder, celle qui, s’imposant à nous, rendrait sa croyance conforme aux faits[1]. »

Par conséquent, pour cet associationniste, l’association des idées, en tant que telle, n’a pas de force probante, au contraire. Le devoir du philosophe, c’est de se défendre contre la tyrannie perturbatrice de l’association : « Le mot preuve ne désigne pas ce qui détermine et tout ce qui peut déterminer la croyance. Bien d’autres choses que des preuves peuvent le faire. Une forte association d’idées peut produire une croyance assez ferme pour que ni expérience ni raisonnement puissent l’ébranler. » (Ibid.) Or, remarque précisément Mill, l’habitude de l’analyse philosophique (dont l’effet le plus sûr est de rendre l’esprit capable de commander, au lieu d’obéir, aux lois de sa partie purement passive), en nous montrant que les choses ne sont pas nécessairement en connexion dans la réalité parce que leurs idées sont en connexion dans l’es-

  1. Système de logique déductive et inductive. (Trad. Peisse, t. II, 4e édit., 1896, p. 94. Nous désignerons la traduction Peisse par la lettre P.)