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la présence de cet absolu invariable qui doit nous consoler, et si nous y pensions comme il faut, nous ne serions pas si tourmentés par les choses passagères… Dieu, le Moi, le devoir, tels sont les trois absolus dont le sentiment ou la contemplation assidue nous élève au-dessus de tous les événements de toutes les choses passagères. » (P. 233.)

La conscience, telle que Biran l’affirme, parce que telle il la veut, ce n’est donc nullement celle que décrit l’empirisme, qui se résout dans la série de ses états, ce n’est pas la conscience d’un moi « ondoyant et divers ». Elle doit être un point d’appui pour résister à cette sorte de mort quotidienne que nous présente à nous-même l’écoulement de notre vie intérieure : elle a pour contenu le moi du rationalisme classique, dont les propriétés sont définies par Biran de la façon la plus nette : « Le moi est un, permanent, et toujours identique à lui-même dans le temps. » (N., II, 323.)

Seulement cette doctrine destinée à consacrer la victoire de l’idéal rationaliste sur la réalité empirique, Maine de Biran prétend la justifier en demeurant fidèle à la méthode de l’empirisme. Cette conscience, à laquelle il fait appel pour dominer la mobilité fuyante et la séduction physique du sensible, il conçoit que, selon l’expression de M. Tisserand, elle est un sens[1]. Il lui faut donc imaginer un type d’expérience qui, d’une part, pour satisfaire à l’exigence de l’immédiat, devra se restreindre à l’instant où la sensation, où l’acte se présente dans sa réalité, mais qui tout à la fois y contredira, puisqu’il s’y manifeste ce qui est antérieur et ce qui est postérieur au donné de la sensation et de l’acte, « ce qui reste, moi… différent de ce qui est changé. (N., II, 323.) Et voilà comment il se fait, pour parler encore avec M. Tisserand[2], « que le fait primitif, constitutif de notre existence, à savoir l’unité de la conscience, ne soit pas expliqué dans sa réalité propre. »

22. — À nul penseur ne s’applique mieux le portrait que M. Bergson a fait du philosophe chez qui « tout se ramasse en un point unique, dont nous sentons qu’on pourrait se rapprocher de plus en plus quoiqu’il faille désespérer d’y atteindre. En ce point est quelque chose de simple, d’infiniment simple, de si extraordinairement simple que le philosophe n’a jamais réussi à le dire. Et c’est pourquoi il a parlé toute sa vie. Il ne pouvait formuler ce qu’il avait dans l’es-

  1. L’Anthropologie de Maine de Biran, p. 329.
  2. L’Anthropologie de Maine de Biran, p. 321.