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composent. La langue même que l’on parle, indique ici que l’on a, pour adapter la terminologie à l’intérêt d’une théorie abstraite, quitté le terrain de l’expérience psychologique, que les faits sont transposés de l’ordre de l’esprit dans l’ordre de la matière, par un appel à des métaphores représentatives d’un donné qui ne peut être imaginé que comme extérieur.

Cette extériorité des éléments est quantitativement diminuée, elle n’est nullement supprimée, par la remarque que leur succession est si rapide qu’elle ne laisse pas subsister d’intervalle appréciable. Ils sont distincts et immédiatement donnés comme distincts, puisqu’ils sont aussi qualitativement différents qu’une détermination d’origine centrale et une sensation d’origine périphérique, puisqu’ils sont directement saisis par la conscience dans leur qualité différente. Dès lors, ce que Biran appelle éléments d’un fait de conscience, comme si c’étaient les parcelles de cuivre et d’étain qui entrent dans un morceau de bronze, ce sont bien deux faits de conscience qui, étant présentés à la conscience séparément et individuellement, conserveront à jamais leur inaltérable individualité. Qu’il y ait entre eux connexion, c’est une affirmation que l’esprit ajoute à l’appréhension de leur réalité intime, et qui demande d’autant plus à être justifiée que la connexion de la cause et de l’effet s’accompagne d’un contraste entre la productivité constitutive de l’une et la passivité caractéristique de l’autre. Or, du point de vue empiriste, la connexion d’éléments hétérogènes se résout dans leur succession. Et c’est pourquoi, alors qu’en toute évidence le temps ne fait rien à l’affaire, Biran se trouve réduit à insister sur la rapidité de cette succession qui les fait se toucher dans la durée. En fin de compte, si l’on va jusqu’au bout du raisonnement, Maine de Biran apparaîtrait justiciable de la critique qu’il a dirigée contre Hume : croyant apercevoir deux éléments dans un même fait de conscience, il n’aurait pas en réalité fait autre chose que « voir » deux billes dans une même boîte.

Non seulement le sentiment de l’effort n’est pas un fait de conscience, parce qu’il en est deux, mais encore il n’est pas sûr que, considéré comme fait primitif, comme donnée pure de l’expérience, il existe à titre de fait de conscience, du moins selon les conditions requises par Biran lui-même pour l’avènement de la conscience : « Un fait, écrivait-il dans sa discussion du sensualisme, n’est rien s’il n’est pas connu, c’est-à-dire s’il n’y a pas un sujet individuel et permanent qui connaisse. » (N., I, 36.) Mais, du moment que cette distinction du fait qui est connu et du sujet qui connaît, est une condi-