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CHAPITRE V


RAISONS DE L’ÉCHEC DE BIRAN


20. — Dans les pages qui précèdent, nous avons essayé d’appliquer à l’empirisme la méthode dont il se réclame. Nous avons considéré la tentative biranienne comme une sorte d’expérience, dont nous aurions seulement à recueillir les résultats pour être en mesure de formuler un jugement objectif sur les ressources que l’observation de conscience peut offrir au dogmatisme de la causalité interne.

La causalité, selon Maine de Biran, est révélée par le sentiment de l’effort. Or, le sentiment de l’effort, tel qu’il est conçu par Maine de Biran, précisément afin d’en faire sortir la révélation de la causalité, peut-il être considéré comme étant un fait de conscience ? La description même qu’en donne Biran nous interdit de répondre affirmativement.

Tout d’abord, il y a une première raison à invoquer : il est impossible que le fait primitif soit un fait, parce qu’au fond il en est deux. « Le premier sentiment de l’effort libre comprend deux éléments ou deux termes indivisibles, quoique distincts l’un de l’autre dans le même fait de conscience, savoir : la détermination ou l’acte même de la volonté efficace, et la sensation musculaire qui suit cet acte dans un instant inappréciable de la durée[1]. » S’il y a, chez un Démocrite ou chez un Épicure, contradiction formelle à poser dans l’absolu un atome d’étendue, puisque tout ce qui est étendu comporte des parties et par suite implique la divisibilité, la contradiction n’est pas moindre à prétendre concilier l’unité d’un fait de conscience avec la dualité des éléments qui le


    simples, sont dénuées de toute relation à quelque existence, soit propre, soit étrangère ; tandis que par ce sens unique, s’il était possible d’en isoler tous ceux qui rentrent essentiellement dans l’exercice des fonctions de la vie organique et animale, le moi se trouverait pleinement constitué, comme sujet d’un effort qui emporte nécessairement avec lui le sentiment d’une résistance. » (N. I., 245.) Que l’on compare maintenant cette conclusion du chapitre III, avec celle du chapitre IV que nous reproduisons dans la note précédente ; et l’on pourra préciser l’ambiguïté anachronique de la doctrine, qui est au delà de Condillac sans doute, mais qui demeure en deçà de Kant.

  1. Examen des Leçons de Philosophie de M. Laromiguière. Cousin, IV, 245.