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cisme de Hume et de « nous assurer qu’il existe des causes ou forces productrices hors de nous, semblables à celle que nous employons à mouvoir le corps et qui constitue notre moi », Biran se ferme à lui-même toutes les issues par lesquelles il pourrait obtenir une vue sur l’activité réflexive de l’intelligence : « Dans l’application du principe de causalité…, l’effet ne peut être dit identique à sa cause productive, puisqu’il en diffère essentiellement et qu’il est perçu en lui-même par une opération de l’esprit et, pour ainsi dire, par un sens différent de celui qui suggère l’idée de cause ; par cette même raison, l’effet ne peut être dit compris dans sa cause ou la cause renfermer son effet, comme un sujet donné objectivement est dit renfermer toutes les propriétés qui en dérivent ou les attributs qui découlent de son essence, et ne sont que cette essence même développée et vue d’une certaine manière, par suite encore, il n’y a point de réciprocité entre la valeur de l’expression intellectuelle attachée à la cause et celle du signe de l’effet sensible, point de transformation possible de l’un dans l’autre, par conséquent point d’application de la méthode d’analyse, qui puisse faire remonter de l’effet à sa cause productive, ni de synthèse proprement dite qui conduise de la cause à l’effet par une composition d’idées, car pour que ces méthodes telles qu’elles ont lieu en mathématiques, par exemple, puissent avoir ici quelque application, il faudrait que l’idée du sujet et celle de l’attribut, et de la cause et de l’effet, se forment de la même manière par des éléments homogènes qu’étant implicitement identiques entre elles, il fût possible d’exprimer l’une par les éléments de l’autre… » (Ibid., p. 327.)

Nous voici donc au rouet : l’empirisme nous renvoie au rationalisme, et le rationalisme nous renvoie à l’empirisme. Tout en soupçonnant que le Leibniz des Nouveaux Essais et le Kant de la Critique de la Raison pure avaient renouvelé la conception de l’activité intellectuelle[1], Biran s’en est tenu à

  1. Rien, à cet égard, n’est émouvant comme la page de l’Essai sur les Fondements de la Psychologie (Édit. Naville, t. I, p. 306 et 307), où Maine de Biran pressent dans la seule dissertation de 1770 la révolution de pensée d’où la critique kantienne devait sortir : « Conceptus intellectualis abstrahit ab omni sensitivo, non abstrahitur a sensitivis, et forsitan rectius diceretur ABSTRAHENS quam ABSTRACTUS. Ce point de vue rentre parfaitement dans ma manière de considérer les idées abstraites réflexives de substance, de cause, de force, telles que je les ai déduites par l’analyse du fait primitif de conscience, en développant le caractère distinctif si bien exprimé par Kant. En remontant jusqu’à la source même de la distinction, on trouverait la confirmation du principe que j’ai cherché moi-même à établir, et comme le résumé de toute cette section, savoir, que le moi qui existe ou s’aperçoit intérieurement comme un, simple, identique, n’est point abstrait des sensations comme ce qu’il y aurait de commun ou de général en elles,