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272. Cette conclusion, si nettement dégagée grâce aux théories de la relativité, marque une phase décisive dans l’évolution de l’idéalisme, évolution que faisaient pressentir déjà le développement des géométries non euclidiennes et la décomposition du mécanisme classique. Pour notre part, en 1897, nous avions indiqué l’orientation du rationalisme en opposant à la dialectique constructive une réflexion critique où l’activité unifiante de l’esprit et le choc indéfinissable de l’expérience sont deux formes : intériorité et extériorité. Ces formes apparaissent contradictoires si on prétend les réaliser à part : elles s’évanouiraient dans le mysticisme de l’Un ou dans l’agnosticisme de la chose, tandis qu’elles constituent, en fait, par leur insurmontable relativité, par le perpétuel devenir de leur solidarité, le tout du connaître et de l’être.

À nos yeux donc, l’idéalisme critique, né de la science contemporaine, écarte l’alternative de l’anthropomorphisme déductif et du naturalisme inductif. Il suit ainsi, dans le domaine spéculatif, la voie de l’humanisme, que Socrate avait ouverte par la découverte de la raison pratique, et dont s’était détourné le réalisme dogmatique d’Aristote. L’anthropomorphisme faisait de l’univers un produit humain. Il imaginait un pouvoir causal qui serait calqué sur le modèle de l’action humaine. Il assimilait à l’ordre humain ce qui précisément et sûrement n’est pas humain : la production même des choses. L’humanisme, au contraire, a pour objet l’action spécifiquement humaine du savoir ; il demande à l’homme d’en prendre conscience, il lui interdit de dépasser l’horizon effectivement parcouru par la connaissance. À l’imagination du Démiurge, du Deus fabricator cœli et terræ, l’humanisme substitue la réalité de l’homme qui est, suivant une expression socratique du Banquet de Xénophon (I, 5), artisan de sa propre philosophie. Voilà pourquoi il est impossible de s’installer immédiatement dans l’univers, pour en rechercher la cause. L’activité connaissante fait partie intégrante de notre perception et de notre science, qui sont l’œuvre de l’homme. Elle ne se laisse pas éliminer de leurs résultats.

Accorderons-nous, pour cela, que l’humanisme nous condamne au subjectivisme, suivant la tendance du sociologisme et du pragmatisme ? Cela serait vrai si avant la perception et avant l’univers l’humanité était déjà quelque chose de tout donné et de tout développé, de telle sorte qu’à partir de cette notion complète de l’homme, et par la définition de sa structure sensible ou intellectuelle, perception et science s’expliqueraient à titre de synthèses subjectives. Or, nous avons déjà eu l’occasion d’en faire la remarque, si telle est