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actuel de l’effort ; une zone d’ « abstraction réflexive » ou d’analyse réflexive, qui permettrait de franchir les limites de cette actualité, mais qui serait de nature proprement intellectuelle. « En s’attachant d’abord à la valeur étymologique des mots, d’après laquelle principe veut dire la même chose que commencement, un principe de la connaissance ne serait que telle connaissance déterminée, considérée au moment où elle commence. Le premier connu (prius tempore) serait le principe. Mais ce n’est pas ainsi que nous déterminons la valeur réelle de ce terme, pris dans le sens ordinaire et indépendamment de tout système. Ce n’est jamais au premier en temps que nous nous arrêtons et que nous sommes les maîtres de nous arrêter. Une loi de l’esprit nous impose la nécessité de remonter jusqu’à un premier générateur (prius natura) qui détermine le commencement de la suite, quoiqu’il soit lui-même tout à fait indéterminé ; ou qui est la condition de cette suite commençante, quoiqu’il soit lui-même sans condition. C’est ce premier dans l’ordre de génération que nous appelons principe, et qui diffère, par le genre et la nature (toto genere et natura), de tout ce qui est compris dans la succession phénoménique à partir du commencement jusqu’à la fin[1]. » Et dans l’Anthropologie même, et à l’endroit où il vient d’exposer sa thèse d’une causalité donnée dans le sentiment immédiat : « On ne peut concevoir et exprimer un pur phénomène, séparé de l’être, ou de la chose dont il est la manifestation, un mode ou une qualité sans un sujet d’inhérence, un effet sensible sans quelque cause cachée, un mouvement quelconque, qui commence dans l’espace ou dans le temps, sans une force qui le fasse commencer. » (N., III, 411.)

19. — Ainsi, non seulement l’empirisme des sens et de l’imagination, mais l’empirisme de la conscience, serait insuffisant pour rendre compte de la naissance et de l’application du principe de la causalité. Malheureusement, chaque fois qu’il s’agit de définir ce qui s’ajoute à l’expérience pour garantir la réalité causale, pour donner le moyen de saisir ce principe tout au moins « comme loi subjective de l’esprit[2] », le même spectacle se manifeste : l’aspiration rationaliste de Biran ne réussit pas à prendre corps dans une conception de la raison qui offre à son exposé une base ferme et précise. Au contraire, et dans l’écrit même auquel nous venons de référer et où il paraît le plus préoccupé de vaincre le scepti-

  1. Rapport des Sciences Naturelles. Édit. Bertrand, 161.
  2. Inédit publié par M. Tisserand, apud Revue de Métaphysique et Morale, mars 1916, p. 329.