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rant d’elle. Au lieu d’imaginer la génération spontanée d’une axiomatique pure, il faut considérer la déduction comme un moment second, lié à la régression inductive qui a son point de départ dans l’expérience, et par quoi la géométrie est proprement, suivant l’expression d’Auguste Comte et de M. Einstein (supra, § 218), une science naturelle, c’est-à-dire, en définitive, une science proprement dite.

Dès lors, la théorie de l’expérience ne marquera pas de rupture entre la physique et la mathématique. L’expérience physique n’est pas une intuition sensible, radicalement opposée à l’intuition rationnelle. L’expérience est différente de la raison beaucoup plutôt qu’elle ne la contredit. D’une part, il n’y a pas un a priori de la raison qui aurait pour effet de la réduire à la pure identité, qui la stériliserait dans l’affirmation éléatique. D’autre part, ce serait être infidèle à l’idée de l’expérience en tant que telle, que de prétendre dépasser la forme toute négative qu’elle revêt dans la pratique, pour atteindre une substance positive qui en apparence satisferait à l’aspiration ontologique du dogmatisme, qui en fait se dissoudrait dans l’imagination creuse d’un inconnaissable. L’expérience agit effectivement comme une résistance, qui par réaction provoquera une victoire sur la nature, qui se traduira par un accroissement du champ intellectuel. Tandis que la raison constitue le tissu de l’univers scientifique, qu’elle étend, qu’elle resserre, l’expérience demeure, par rapport à elle, une négation, négation relative, négation provisoire, puisque le propre de la science est de la transformer en point de départ pour un circuit plus vaste d’une pensée plus subtile. Et, à son tour, la négation ne s’efface que pour faire place à une nouvelle négation, qui se présentera sur un nouveau plan, suivant l’échelle et le format que permet d’atteindre le perfectionnement des procédés d’investigation.

Nous devons, d’ailleurs, comprendre que ce caractère négatif est essentiel à l’expérience. Il ne provient pas de difficultés pratiques auxquelles la sagesse commanderait de se résigner. Il exprime une nécessité dont la théorie du syllogisme nous instruira déjà si, au lieu d’y voir un mécanisme formel et aveugle, on sait, comme l’a fait victorieusement Jules Lachelier, analyser le fonctionnement effectif de la pensée. Dans le syllogisme de la seconde figure, qu’on pourrait appeler le syllogisme du signalement, le moyen terme est deux fois prédicat ; c’est-à-dire que l’on cherche à comparer deux sujets à l’aide d’un seul prédicat. Or, si l’on constate que deux sujets ont même prédicat, il n’y a aucune conclusion à en tirer par rapport à l’identité ou à la diversité des sujets : un même