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rier. Pour résoudre les problèmes auxquels conduisait la mise en équations des résultats expérimentaux concernant la chaleur rayonnante, Fourier a entrepris l’étude systématique des fonctions discontinues non développables en séries de Taylor, il a enrichi l’analyse d’un domaine presque complètement nouveau[1].

Que cette extension de la mathématique, considérée comme instrument pour la physique, ait rejailli à son tour sur la physique elle-même, jusqu’à transformer radicalement l’idée que l’on se faisait de son avenir et de sa destinée, c’est ce que montrera, d’une façon, croyons-nous, particulièrement frappante, une réflexion de Cournot dans un ouvrage qui parut pourtant un quart de siècle après la Théorie Analytique de la Chaleur. « Déjà les progrès de la physique mathématique font pressentir qu’après qu’on aura tiré de l’algèbre et de la géométrie, à peu près tout ce qu’elles peuvent donner pour l’interprétation des phénomènes naturels, les progrès ultérieurs de cette interprétation consisteront surtout à tirer des caractères généraux des fonctions les formes ou les lois générales des phénomènes, indépendamment de toute évaluation numérique subordonnée aux valeurs particulières de ces mêmes fonctions, évaluation qui devient pour l’ordinaire impraticable dès que les fonctions ne comportent pas une expression algébrique très simple[2]. »

Il est clair que Cournot songe encore aux mathématiques, telles qu’elles étaient encore à l’ « âge d’or », où la perspective d’une discipline pouvait se deviner a priori, à partir d’un faisceau de notions initiales, qui en concentraient la lumière et l’esprit. Mais le xixe siècle n’est plus l’âge d’or. Rappelons, puisqu’il ne s’agit ici que d’emprunter aux mathématiques un plan de référence à quoi nous devrons rapporter la théorie de la physique, ce que nous écrivions dans une étude consacrée à Henri Poincaré : « Découvrir les cas singuliers, les anomalies et les exceptions qui mettent en déroute les liaisons d’idées trop facilement admises et obligent à la révision des notions fondamentales ; — généraliser, ou encore particulariser, tel procédé d’analyse ; — inventer les méthodes qui permettront d’étudier une fonction dans un domaine plus étendu, ou fourniront une meilleure approximation au calcul d’une intégrale ; — déterminer, dans telle ou telle circonstance

  1. Cf. Pierre Boutroux, l’Idéal scientifique des mathématiciens, 1920, p. 173.
  2. Des Origines et des Limites de la correspondance entre l’algèbre la géométrie, 1847, p. 158.