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l’histoire de la physique moderne comme le préjugé par excellence.

269. — Ainsi se pose à nous la question : l’impossibilité d’appliquer les règles d’évidence et d’énumération rejette-t-elle la physique dans un plan inférieur au type normal et idéal de la science, telle que la mathématique le fournirait ?

Or, à cette question, nous répondrons tout autrement que Huxley. Nous ne pensons pas, en effet, que la mathématique corresponde effectivement au modèle classique qu’ont tracé le platonisme et le cartésianisme. Alors, en effet, la raison du mathématicien apparaissait comme une raison intuitive, l’idée avait un objet immédiat, la vérité pouvait encore se définir adæquatio intellectus et rei. Mais la critique contemporaine des mathématiques, parallèle à la critique de la physique, a montré que cette image classique était en fait liée à l’étroitesse de l’horizon où on la renfermait. « Le cercle dans lequel paraissaient renfermées les études mathématiques au commencement du xixe siècle a été brisé de tous côtés[1]. » L’algèbre avec Galois, l’analyse avec Cauchy, la géométrie avec Lobatschewski (pour n’invoquer ici que les initiateurs les plus illustres) se sont ouvert des voies nouvelles ; et la conception s’est modifiée radicalement du rapport, à l’intérieur des mathématiques, entre les principes posés et les conséquences obtenues : « Tandis que la déduction syllogistique ou logistique exclut tout imprévu dans la conclusion, ce sont peut-être les régions où le mathématicien semblait s’être donné, par le simple caprice de sa volonté, les objets les plus éloignés de l’expérience sensible, qui ont offert le plus de surprises dans la chasse à la vérité. De la considération d’une propriété comme la convergence ou la divergence va résulter une différence radicale entre des séries qui, par la nature de leurs termes et par leur constitution formelle, paraissaient presque identiques ; là, au contraire, vont se constituer les analogies qu’aucune prévision ne pouvait atteindre[2]. »

Dans cet élargissement prodigieux, dans cette fécondité inattendue, la physique a joué un rôle, dont l’importance s’est révélée d’une façon décisive dans l’œuvre de Joseph Fou-

  1. Darboux. Étude sur le développement des méthodes géométriques, lue au Congrès des Sciences et Arts de Saint-Louis (1904), reproduite apud Rouss Ball. Histoire des Mathématiques, trad. Freud, t. II. 1907, p. 260. Cf. Sur l’implication et la dissociation des notions. Revue de Métaphysique, 1908. p. 751.
  2. Revue de Métaphysique. 1908, p. 756.