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de côté la biologie : si les biologistes ont réussi à mettre en équations, et à résoudre avec un succès inattendu, bien des problèmes partiels, ils ne se croient pas à l’heure actuelle plus près que Huxley ne le pensait, des propositions générales qui imprimeraient à la science des êtres vivants une physionomie définitive. En revanche, il nous importe d’insister sur la thèse admise sans plus ample examen, au sujet de la mathématique : aux yeux de Huxley, la mathématique aurait depuis longtemps pris possession de ses propres principes sous une forme tellement complète qu’elle ne laisserait plus rien à désirer, elle pourrait se borner « à déduire et à vérifier ». Tout en ayant l’air de ne viser que la mathématique, cette thèse est d’une conséquence décisive en ce qui concerne l’interprétation de la physique. En effet, il ne suffira nullement, pour fixer le sens de cette interprétation, que nous soyons arrivés, en suivant le courant de la pensée moderne, à nous donner une idée de la physique : la valeur et la portée que nous attribuerons à cette idée, varieront nécessairement selon la conception que par ailleurs nous aurons de la mathématique. Si l’on accepte le postulat que la mathématique est effectivement parvenue à l’idéal de la déduction pure, la mathématique offrira un type primaire de science, par rapport auquel une physique incapable de prouver la vérité intrinsèque de ses principes, obligée de se référer à des données d’expérience, toujours en quelque mesure opaques et impénétrables, sera un type secondaire. Au contraire, si le développement de la mathématique contemporaine fait apparaître le caractère simpliste et téméraire d’un pareil postulat, s’il réclame pour son explication qu’à l’intérieur même de la mathématique une connexion se soit établie entre la raison et l’expérience, relatives et réciproques l’une à l’autre, alors le parallélisme des deux disciplines aura une signification plus étendue et plus stricte que Huxley ne l’avait envisagée.

Autrement dit, la philosophie de la physique est solidaire de la philosophie de la mathématique. Quand on suppose, comme Platon paraît l’avoir fait, que l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, sont suspendues aux Idées du nombre, de l’espace, du mouvement, dont la dialectique métamathématique atteindrait l’essence absolue, il est inévitable que la connaissance des données naturelles paraisse exprimer une dégradation des essences idéales, « la chute du logique dans l’espace et dans le temps[1] ». Par contre, lorsque, avec Descartes, la conception platonicienne de l’idéalité mathématique

  1. Bergson, L’Évolution créatrice, p. 317.