Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’objectivité, de prendre alors conscience de l’élan spirituel qui se révèle dans l’intelligence mathématique, transfluide plus encore que fluide, transintuitive plus encore qu’intuitive, qui met la science, aiguillonnée par la précision croissante des questions expérimentales et les surprises perpétuelles des réponses, en état d’étendre et de resserrer tout à la fois le réseau des relations physiques.

L’élimination simultanée de l’idéal déductif et de l’idéal inductif heurte le sens commun du logicien. Elle marque pourtant un retour au bon sens ; car une philosophie de la science, antérieure à l’avènement de la science, devait naturellement en laisser échapper les caractères spécifiques qui ne pouvaient être mis au jour que pair son développement. Mais, ce que le bon sens aurait le droit de trouver étrange, ce qui serait en effet à nos yeux un paradoxe insupportable, c’est que la réflexion sur la science n’eût rien élevé de solide et de stable sur les ruines de la syllogistique aristotélicienne et de l’empirisme baconien. Or, en fait, il y a une « philosophie expérimentale », mise en pratique par Galilée, explicitement dégagée par Newton. Que cette philosophie comporte une méthode définie, il est aisé de le constater ; il suffit, par exemple, de consulter un savant comme Huxley, dont l’esprit positif est complètement à l’abri des préjugés comtistes. Pour Huxley, la méthode qui convient à toutes les sciences sans exception, car c’est elle qui confère à une recherche son caractère scientifique, se définit par la conjonction des quatre moments suivants : « 1o l’observation des faits ; et sous cette indication je comprends ce genre d’observation artificielle auquel on a donné le nom d’expérimentation ; — 2o le procédé qui consiste à réunir les faits similaires en faisceaux étiquetés et prêts à nous servir, que l’on appelle comparaison et classification. L’on appelle propositions générales, les résultats de ce procédé, les faisceaux étiquetés ; — 3o la déduction, qui nous ramène des propositions générales aux faits, et nous enseigne pour ainsi dire à prévoir, d’après l’étiquette, ce qui se trouve dans le faisceau ; — enfin 4o la vérification, le procédé au moyen duquel on s’assure que la prévision est conforme au fait prévu[1]. »

Huxley insiste, du reste, sur le fait que cette méthode se trouve indiquée dans le Système de Logique de John Stuart Mill, au chapitre de la Méthode Déductive ({rom-maj|III|3}}, 11). Il reproduit (trad. citée, p. 412) le premier paragraphe du chapitre,

  1. Lay Sermons, traduit sous ce titre : Les sciences naturelles et les problèmes qu’elles font surgir. Paris, 1877, p. 116.