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propre nature à leur nature, que, par suite, il gâte et il tord ». (I, 41.)

264. — Il est vrai, d’ailleurs, que Bacon lui-même pose la question du salut. La nature humaine ne pourra-t-elle pas être « rachetée » ? Entre elle et la nature universelle, ne sera-t-il pas possible de rétablir l’harmonie, la sympathie ? Il faudrait assurément faire intervenir quelque chose qui dépassât les forces ordinaires de l’homme abandonné à lui-même, disposer d’un secret de magie. Mais c’est une vertu de ce genre que l’enthousiasme de Bacon attribue à l’induction. Et en effet l’induction est fondée sur cette révélation surprenante que, pour parvenir à l’action efficace, il convient de défaire et non de faire, de procéder par le moins et non par le plus. Nous voulons deviner la nature, en raisonnant et en imaginant ; mais nous la connaissons et nous la possédons, cette nature, en ce sens qu’elle nous est déjà donnée avec les perceptions. Seulement, les perceptions sensibles, telles qu’elles se présentent à la conscience, s’enchevêtrent dans une complexité et une confusion déconcertantes, tandis que la nature, cachée par derrière, est un dessin à lignes régulières et bien suivies. Aussi ne sera-t-il pas question d’inventer. Le rôle de la science est de découvrir le simple qui est contenu dans le complexe, qui est déjà donné en lui — et cela grâce à un triage des apparences immédiates, par une séparation, fil à fil, du tissu présenté à l’observation vulgaire. Une telle méthode aura une apparence d’infaillibilité ; car, en faisant table rase de ce que l’esprit pouvait ajouter à la nature, elle supprime toute médiation d’intelligence et par là tout risque d’erreur. On ne voit pas où la fissure se produirait, puisque l’homme a complètement abdiqué devant les choses, puisqu’il a fait vœu de soumission complète, et que c’est à force de savoir obéir qu’il espère satisfaire l’ambition de commander un jour.

Nous l’avons vu pourtant : l’empirisme, même avec la mise au point laborieuse que John Stuart Mill en a tentée dans son Système de Logique, n’a pas supporté l’épreuve de la réalité scientifique. Les canons de la méthode inductive peuvent, dans les cas les plus favorables, constituer des procédés auxiliaires pour un exposé justificatif de certains résultats ; ils ne sont pour rien dans la conquête ou dans l’intelligence de ces résultats, ils sont étrangers à l’esprit qui anime le savant ou le philosophe. De cet échec la raison est manifeste : opposer le naturalisme à l’anthropomorphisme, l’objectivité de l’induction à la subjectivité de la déduction, c’est encore opposer