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18. — Une distinction de ce genre remet en question l’équilibre de la doctrine. Convient-il de n’y voir qu’une gaucherie d’expression ? ou est-ce le signe d’une incertitude radicale qui ruinerait jusque dans ses fondements la psychologie biranienne de la causalité ? Encore une fois nous laisserons la parole aux textes : ils font apercevoir chez Biran une sorte d’oscillation perpétuelle, non pas avec des alternances suivant les ouvrages et les époques, mais aux mêmes dates et dans les mêmes écrits, entre deux interprétations de la conscience, qui en font tantôt une fonction de donnée immédiate, tantôt une fonction d’analyse réflexive. Dans le premier cas, la « force absolue » et la « force relative » seraient toutes deux données en même temps à la même conscience, et identifiées par là même qu’elles n’avaient pas à être distinguées ; dans un autre cas, la raison remonte de la force actuelle à la force virtuelle en vertu du raisonnement qui lie le conditionné au conditionnant ; la force virtuelle est impliquée dans la force actuelle parce que l’exercice de celle-ci suppose l’existence de celle-là comme la conséquence suppose le principe.

La première conception se trouve affirmée avec une énergie qu’il serait difficile de dépasser dans la page suivante : « Le principe de la philosophie est trouvé : il s’identifie avec celui de la force ou de la causalité même, dès qu’il est prouvé, par le fait du sens intime, que le moi actuel est pour lui même force, cause libre qui commence le mouvement ou l’action, force constamment distincte de ses effets transitoires, comme de tous les modes passifs étrangers à son domaine. Ce fait primitif de la conscience et de l’existence réunit les conditions et les caractères propres du principe de la science humaine. Pris en nous-mêmes, il emporte avec lui ce sentiment d’évidence, qui ne peut que se réfléchir sur toutes les vérités qui en empruntent leur certitude. Comment en effet pourrait-il y avoir quelque vérité, s’il était permis ou possible de révoquer en doute un seul instant cette première expérience interne immédiate qui manifeste le moi à lui-même, comme force ou cause libre, identique, permanente, avant, pendant et après les actes ou sensations transitoires qu’elle détermine ou qui accompagnent son exercice ? La force, la causalité interne, la libre activité, comme l’existence personnelle qu’elle constitue, n’est qu’une aperception première, immédiate, un fait de sentiment. Mettre ce fait en question, prétendre le déduire de quelque principe antérieur, en chercher le comment, c’est demander ce qu’on sait et ne pas savoir ce qu’on demande. » (N., III, 408.)

Si ces déclarations dissipent tous les doutes qu’on pourrait