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induction comme je le disais… On peut dire seulement qu’il est naturel que nous percevions ou que nous concevions les choses qui ne dépendent pas du moi, à la manière dont nous existons, et sous la forme ou l’idée qui constitue notre existence individuelle[1]. »

17. — L’impuissance de Biran à éclaircir en quoi que ce soit la nature de la causalité scientifique a une importance décisive pour la recherche que nous poursuivons et dont l’univers physique est l’objet. Elle ne saurait cependant nous porter à douter de la thèse fondamentale de Biran : la cause est donnée dans le fait primitif de conscience. Au contraire, l’impossibilité de transposer sur le terrain de l’expérience externe ce qui est le propre de l’aperception immédiate ou interne pourrait être invoquée en faveur de Biran comme une preuve de sa spécificité et de son irréductibilité. C’est donc la philosophie de l’esprit qui est la terre d’élection pour la doctrine biranienne de la causalité ; c’est elle qui doit faire tout au moins présumer de sa vérité en donnant des gages de sa fécondité, cette vérité devant, par ailleurs, servir de critère et de mesure pour apprécier la portée des résultats que la science du monde extérieur peut obtenir. « Les physiciens peuvent se borner à observer les faits extérieurs, les phénomènes de leur ressort, et à saisir leur liaison ou ordre de succession d’après l’expérience. Ils supposent la réalité absolue des causes, des substances… Ils n’ont pas besoin d’en déterminer la nature ni de s’informer à quels titres nous connaissons ou croyons ces réalités. Mais dans la psychologie, même la plus expérimentale, il est si peu possible de faire abstraction de la cause efficiente de certains phénomènes, que cette cause, en tant qu’elle s’identifie originairement avec le moi, devient le sujet même de la science, que ses actes et leurs produits individuels font partie essentielle de phénomènes intérieurs ; enfin, que les notions des forces, des substances durables, et les croyances invincibles attachées à leur réalité sont placées en premier rang des faits, et constituent les premiers éléments de la science de l’homme ; d’où il suit qu’on ne peut en faire abstraction sans dénaturer entièrement le sujet même de l’étude qu’on se proposait[2]. »

Qu’il soit ainsi possible, sans franchir le domaine de la conscience, de s’élever de l’apparence phénoménale, que jusqu’ici l’empirisme avait uniquement considérée, à la réalité

  1. Journal Intime, 30 octobre 1816. Édit. Naville (que nous désignerons par J. I.), p. 201.
  2. Rapport des Sciences Naturelles, Édit. Bertrand, p. 151.