Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/583

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LIVRE XX

Les phases de l’expérience humaine.




CHAPITRE LIII


LE PROBLÈME DE LA PENSÉE PHYSIQUE


251. — Nous avons essayé de réaliser le programme que nous nous étions tracé : en suivant l’expérience humaine de la causalité physique, écarter toute idée préconçue qui eût orienté notre enquête vers une conclusion connue et voulue d’avance, nous laisser conduire par les événements qu’engendraient dans l’histoire les actions et les réactions entre l’esprit du savant et les phénomènes de l’univers. Ce que nous avions, en effet, reproché à l’empirisme, c’est le postulat métaphysique en vertu duquel il détachait l’expérience de son caractère proprement humain pour la suspendre à l’absolu d’une donnée immédiate, qui serait le privilège, soit avec Biran d’un fait primitif de la conscience, soit avec Mill de l’intuition d’un contenu qualitatif. Or, nulle part, dans la réalité de la perception ou dans la réalité de la science, ne se rencontre une telle expérience. Par rapport à cette notion primaire, et qui demeure tout imaginaire, de l’expérience, l’expérience concrète que l’homme a effectivement de la causalité, c’est quelque chose d’infiniment plus complexe et plus divers. Afin de considérer cette expérience concrète sous les aspects différents où elle se présente dans l’évolution de l’humanité, il y avait lieu, selon nous, de pratiquer une méthode inverse de celle qu’avait employée l’empirisme. Au lieu de laisser l’étude se rétrécir jusqu’au point précis où la doctrine réussirait à révéler la possession définitive de l’être, il convenait de multiplier les zones d’exploration, de ne laisser hors de notre enquête aucune des périodes où s’est manifestée une attitude originale de l’humanité en face du problème de la causalité.