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CHAPITRE LII


LE PROGRÈS DU RELATIVISME


248. — Nous pourrions résumer les considérations qui précèdent de la façon suivante : de même que l’on est plus fidèle que Kant à l’esprit de l’idéalisme critique en rejetant le tableau des catégories univoques pour suivre le dynamisme et la plasticité des fonctions intellectuelles, de même, il semble que l’on interprète mieux qu’Auguste Comte l’inspiration de la philosophie positive, en n’admettant pas de séparation radicale entre un domaine définitivement acquis à la science sous forme de loi intangible, et le devenir d’extension qui, se présentant comme hypothèse, devrait être relégué au pays des chimères.

Prétentions paradoxales sans doute, et qui pourraient même être taxées d’arrogantes. Il n’y faut pourtant voir autre chose, croyons-nous, que l’enseignement directement emprunté aux physiciens, qui font aujourd’hui de la Métaphysique par méfiance de la Mécanique, après avoir voulu tout baser sur la Mécanique par crainte de la Métaphysique. Cette remarque de Lucien Poincaré, que nous avons déjà eu l’occasion de citer (§ 201), condense l’histoire de la pensée depuis Lagrange et Comte jusqu’à MM. Planck et Einstein ; elle demande par suite à être nettement éclairée à la lumière de cette histoire. Nous aurons justifié, pour notre part, l’étude consacrée à ce que nous avons appelé la période de la physique, si nous établissons que la métaphysique qui succède aujourd’hui à la mécanique, n’est pas la métaphysique dont jadis la mécanique s’est dégagée, en d’autres termes que le rôle du positivisme est de prendre place entre deux métaphysiques.

L’école de Lagrange et l’école de Laplace avaient en vue les spéculations théologiques auxquelles Leibniz et Newton avaient cru nécessaire de recourir pour assurer l’adéquation de l’intelligence et du réel. La perfection même à laquelle ces écoles se flattaient d’avoir porté l’élucidation et l’objectivité des principes, leur paraissait rendre superflu tout « prolongement » d’ordre métaphysique ou même épistémologique ; car le but auquel les philosophes avaient tenté de parvenir et que Kant poursuivait encore, se trouvait atteint dans la science, du