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CHAPITRE LI


LES LOIS ET LES HYPOTHÈSES


242. — Ce dont nous instruisent les trois siècles écoulés depuis l’avènement des méthodes positives en physique, c’est qu’en partant de l’espace et du temps pour constituer la causalité, en allant de la forme au fond, on n’obtient encore que le mouvement, c’est-à-dire le schème artificiel et abstrait de l’action. La cause, c’est l’action elle-même en tant qu’elle se propage d’un point du champ à un autre, avec ce qui la caractérise dans la détermination même de sa mesure comme action électromagnétique ou action gravifique. Cette conception de la cause satisfait à l’exigence légitime qui est à la base de l’inspiration positiviste ; elle écarte du domaine de la réflexion philosophique ce qui, par sa nature, échappe aux prises du calcul et de l’expérience. Mais elle est loin de continuer la théorie systématique des rapports entre la cause et la loi, telle que Comte l’a proposée. À certains égards, Comte demandait pour la loi plus que nous ne saurions accorder même à la cause ; il attribuait à la loi un caractère d’abstraction, de généralité, qui en faisait l’objet des sciences fondamentales tandis que les autres sciences naturelles, sciences « concrètes, particulières, descriptives… consistent dans l’application de ces lois à l’histoire effective des différents êtres existants… ne sont réellement que secondaires[1] ».

À nos yeux, si utile que puisse être le processus de l’abstraction et de la généralisation dans le développement de la pensée, il ne constitue pas le but de l’effort rationnel ; car ce n’est pas le réel et ce n’est pas (ou tout au moins depuis que la fécondité de l’intellectualisme cartésien s’est substituée à la stérilité du conceptualisme péripatéticien), ce n’est plus l’intelligible. La loi est une entité. On va vers la loi en partant des apparences sensibles, qui sont concrètes en un sens ; mais de la loi on retourne vers quelque chose qui est concret en un tout autre sens, infiniment plus profond et plus vrai, au sens de la continuité intime, de l’extension illimitée. La

  1. Cours, t. I, Seconde Leçon, p. 70