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sentiment immédiat de notre propre effort, ou, ce qui ne nous importe point ici, en vertu d’une loi primitive inhérente à l’esprit humain, nous rapportons ce changement dont notre effort voulu ou le moi n’est point cause, à l’objet même, comme à une force ou cause efficiente extérieure. Sans l’intuition d’étendue, cette cause efficiente serait conçue indéterminément comme non moi… En concevant la cause extérieure d’une modification interne quelconque, nous lui attribuons la permanence et la réalité du moi. Nous lui attribuons hors du mouvement effectif actuel cette virtualité ou faculté constante d’agir, qui reste toujours la même avant et après le mouvement et qui est indépendante de la virtualité que nous apercevons en nous-mêmes comme la base de notre existence[1]. »

Conception métaphysique sans doute ; mais c’est grâce à cette conception métaphysique que la science peut acquérir cette valeur de solidité et de pénétration à travers le réel, qui fait défaut aux conceptions appuyées uniquement sur les relations mathématiques ou sur les impressions visuelles. Biran croit fournir au savant l’instrument dont Malebranche ou Hume le laissaient dépourvu : « Un être qui n’aurait jamais fait d’effort, n’aurait en effet aucune idée de force, ni par suite de cause efficiente ; il verrait les mouvements se succéder, une bille par exemple frapper et chasser devant elle une autre bille, sans concevoir ni pouvoir appliquer à cette suite de mouvements cette notion de cause efficiente ou force agissante, que nous croyons nécessaire pour que la série puisse commencer et se continuer ». (Ed. Cousin, IV, 353.)

Si l’on veut dégager la vérité scientifique des « doutes sceptiques » où se sont embarrassés Hume et ses successeurs, il convient donc de procéder en psychologue, et de faire fond sur le fait primitif. C’est ce qu’exprime très fortement cette page des Réponses à M. Stapfer (juillet 1818) : « Nous pouvons voir… par là quel est le fondement réel de notre conviction de l’invariabilité ou la constance de ce que les physiciens appellent les lois de la nature ; car les lois ne sont au fond que des résultats les plus généraux de l’action de ces forces nécessairement conçues à l’instar du moi comme immatérielles et partant immuables, Ces notions de forces universelles et nécessaires {d’une nécessité de conscience) se mêlent, quoi qu’on fasse, à tous les raisonnements empiriques sur l’ordre de succession des phénomènes, comme à tous les calculs de probabilités où l’on croit n’exprimer et ne

  1. Rapports des Sciences Naturelles avec la Psychologie. Édit. Bertrand, p. 261.