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sophie de l’esprit : « La science métaphysique a sa source dans le fait primitif de conscience, où le sujet de l’effort est constitué par rapport au terme qui résiste. Ce terme, séparé de tout ce qui n’est pas lui, sert de fondement à toutes les conceptions mathématiques, tandis que ce sujet, abstrait par la réflexion, est le point central d’où partent et où se rallient toutes les notions du métaphysicien. » (N., II, 321.)

15. — Nous considérerons d’abord la science du monde extérieur, et nous rappellerons quelques-uns des textes où est mise le plus nettement en lumière la nécessité, pour connaître l’univers en sa réalité, de faire appel à l’effort du moi, à la résistance du non-moi : « Ôtez toutes les qualités sous lesquelles le même tout concret se représente successivement ou à la fois à divers sens internes ; reste encore la force non-moi, en vertu de laquelle l’objet résiste à l’effort voulu, le limite, le détermine, et réagit contre notre force propre autant que celle-ci agit pour le surmonter[1]. » Non seulement l’étendue n’est, suivant l’expression leibnizienne, que « la continuité des points résistants » ; mais l’objet même qui remplit l’étendue n’a de réalité que par sa corrélation directe avec l’effort volontaire. Ainsi, « quand un mouvement, un mode actif quelconque est effectué par le vouloir… le moi perçoit ce mode comme effet, en s’apercevant lui-même comme cause actuellement indivise de son produit, quoiqu’elle en soit distincte, puisque l’effet est transitoire, et que la cause ou la force reste. Nous savons maintenant et nous croyons nécessairement que la relation première de causalité établie ainsi subjectivement entre les deux termes ou éléments du même fait, ne saurait avoir lieu ou s’apercevoir comme elle est dans la conscience, s’il n’y avait pas objectivement ou dans l’absolu une relation semblable ou conçue de la même manière entre les deux substances ou forces, telles que l’âme et le corps ». (Ibid., p. 350.)

Donc, de ce qu’il y a un moi qui exerce l’effort et qui, dans cet exercice, éprouve la résistance opposée à son effort, il y a un non-moi auquel est conféré un égal degré de permanence et de réalité. L’inférence demeure toute proche du fait primitif, au point qu’elle semble en révéler comme les deux faces inséparables. Ce même fait primitif auquel nous devons la conscience de notre causalité propre, justifie immédiatement la science de la nature comme science de la causalité : « En vertu d’une induction première, fondée sur le

  1. Doctrine philosophique de Leibnitz. Édit. Cousin, IV, 333.