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branche : Prouvez que pour être cause d’une action, il est indispensablement nécessaire de connaître, je ne dis pas seulement eette action, objet présent de la volonté, mais de plus tous les moyens intermédiaires par lesquels l’action peut être produite : cette connaissance des moyens n’entre certainement pas dans les notions que ; nous nous faisons de la causalité en général, dont notre force propre est le type unique. Le moi veut d’abord la sensation musculaire qu’il a éprouvée ou connue par conscience, comme en son pouvoir ou à sa disposition ; à cette sensation se lie par expérience la perception objective du mouvement du bras, qui n’est plus un fait de conscience ni l’objet immédiat du vouloir[1]. » Et la condamnation qui frappe l’original atteint aussi la copie : « Le sceptique Hume dit, dans un de ses mémoires : « Nous sommes condamnés à ignorer éternellement les moyens de la production des mouvements volontaires, tant s’en faut que nous en ayons le sentiment immédiat. » Cette manière de raisonner est tout à fait vicieuse en ce qu’elle fait dépendre une vérité de sentiment immédiat de la connaissance objective que nous pouvons avoir hors de nous de l’être que nous sentons ou apercevons intérieurement comme réel et vrai, — ce qui est déplacer absolument l’origine de toute connaissance, la base de toute certitude, la source de toute évidence[2]. » La doctrine biranienne de la causalité en arrive explicitement à cette prétention singulière, presque inouïe dans l’histoire de la philosophie, d’être une affirmation absolue, s’affirmant elle-même comme inaccessible, sinon comme supérieure, à toute espèce de critique.

À tout le moins, ce ne sera pas une exigence exagérée à l’égard d’une doctrine qui récuse d’une façon aussi nette (on serait tenté de dire : d’une façon aussi insolente) les réclamations de l’intelligence et de la représentation, de lui demander qu’elle lève, dans l’esprit même de celui qui l’a conçue et proposée, les difficultés dont elle était destinée à fournir la solution. Nous aurons donc, pour juger à sa valeur la thèse de Biran, à suivre les conséquences qu’il lui attribue, soit dans la philosophie de la nature, soit dans la philo-

  1. Éclaircissement sur le VIe Livre de la Recherche de la Vérité publié par M. Tisserand, Revue de Métaphysique et de Morale, 1906, p. 467. Cf. Notes sur quelques passages de l’abbé de Lignae, apud Bertrand, p. 294. Note : « La grande erreur commune aux cartésiens et aux autres philosophes, c’est de séparer le vouloir et l’action, et de chercher ensuite à les lier l’un à l’autre par un nœud étranger et extérieur à l’âme tel que l’efficace d’un pouvoir divin. »
  2. Inédit publié par M. Tisserand, Revue de Métaphysique, 1916, p. 329, note 1.