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patéticienne, une pareille géométrie où la position dans l’espace devient, comme l’était pour Kant la relation temporelle, un caractère intrinsèque et constitutif du phénomène scientifique, ressuscite la notion pourtant si décriée de l’οὶχεῐος τόπος. À certains égards aussi, mais en un sens tout autre puisqu’il s’agit d’une circonstance appartenant au développement du savoir humain, non d’une opposition radicale fondée dans la nature des choses, elle réintroduit la distinction, abolie par Descartes, entre la considération du milieu terrestre, pour laquelle la mécanique classique est suffisamment approchée, peut passer comme vraie, et la considération du milieu astronomique qui oblige à corriger l’approximation afin d’adopter une « cosmométrie » plus subtile et plus exacte.

231. — Du point de vue de cette cosmométrie, il n’y a pas plus de place pour une physique pure distincte de la cosmologie que pour une mécanique pure. Si Cournot, qui avait tant de fois dénoncé le préjugé suivant lequel la mécanique serait l’intermédiaire nécessaire entre la mathématique et la nature, se risque jusqu’à prédire que, même après l’échec éventuel du système newtonien, « l’esprit humain n’en concevrait pas moins la possibilité et même la nécessité de remonter jusqu’à des lois et à des propriétés permanentes, qui sont l’objet de la physique pure » (Ibid.), c’est en vertu d’un principe de caractère philosophique et dogmatique qui n’a rien à voir avec l’observation directe de la réalité scientifique. À ses yeux, le règne de la loi est la condition sans laquelle on ne trouverait « nulle part l’ordre et la lumière » ; le cours du temps, cessant d’être soumis au rythme harmonieux d’une raison supérieure, n’offrirait plus qu’un amas incohérent de variations accidentelles et fortuites. Bref, Cournot oppose la raison et le hasard, le hasard, suivant la vue profonde qui a été le point de départ de ses spéculations, étant, en un point et en un temps donnés, le concours d’effets qui relèvent d’antécédents sans connexion intime les uns avec, les autres : « Les événements amenés par la combinaison ou la rencontre de phénomènes qui appartiennent à des séries indépendantes, dans l’ordre de la causalité, sont ce qu’on nomme des événements fortuits ou des résultats du hasard[1]. »

Or, on peut se demander si le hasard ainsi défini contient vraiment quoi que ce soit qui aille contre la raison et qui atténue la rigueur du déterminisme scientifique ? Pour notre part, nous n’apercevons aucun motif de le penser, du moins

  1. Exposition de la théorie des chances et des probabilités, 1843, p. 73.