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être foncièrement distincts, n’en ont pas moins leurs connexions et leurs enchevêtrements. Il est dans la force des choses que les sciences cosmologiques fassent continuellement usage des données que leur fournissent les sciences physiques : il arrive aussi, quoique plus rarement et en quelque sorte par accident, que les sciences physiques impliquent une donnée cosmologique ou physique qu’il faut dégager… Une pierre abandonnée à elle-même tombe actuellement à la surface de la terre : le principe que les lois de la Nature sont constantes suffit-il pour nous autoriser à conclure que cette pierre tomberait de même et avec la même vitesse, si l’on récidivait l’expérience dans le même lieu au bout d’un temps quelconque ? Point du tout ; car, si la vitesse de rotation de la terre allait en croissant avec le temps, il pourrait arriver une époque où l’intensité de la force centrifuge balancerait celle de la gravité, puis la surpasserait. Aussi ne s’agit-il pas là d’une expérience de physique pure, mais d’une expérience qui est influencée par certaines données cosmologiques. L’expérience de Cavendish n’est point dans le même cas, du moins d’après l’idée que, dans l’état de nos connaissances scientifiques, nous nous formons de la loi de la gravitation universelle ; et voilà pourquoi nous sommes autorisés à porter à l’égard de cette expérience un jugement tout différent. Supposez que des observations ultérieures viennent donner en cela un démenti à nos théories scientifiques et qu’il faille revenir à des idées cartésiennes, en attribuant les apparences de l’attraction entre les corps pondérables à la pression d’un certain fluide qui pourrait être inégalement distribué dans les espaces célestes : dans cette hypothèse, aujourd’hui si improbable, l’expérience de Cavendish pourrait donner des nombres variables, selon que notre système solaire se transporterait dans des régions où le fluide dont il s’agit serait inégalement accumulé. On verrait reparaître dans l’interprétation de cette expérience la donnée cosmologique. »

Avec la théorie de la relativité généralisée, l’hypothèse, prévue, mais écartée comme improbable, s’est réalisée. Le retour aux idées cartésiennes s’est accentué, dans un sens, il est vrai, qui désorienterait Descartes s’il était placé brusquement en face de ces Cartésiens nouveau style. La physique pure est devenue géométrie selon le programme du maître ; mais la géométrie n’est plus demeurée la représentation d’un milieu homogène qui est donné tout entier dans l’immédiateté de l’intuition : c’est une métrique infiniment compliquée qui s’applique aux particularités constitutives d’un champ. Par certains de ses aspects et abstraction faite de l’ontologie péri-