Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vue de Malebranche contre la doctrine biranienne, apparaît non recevable ; et je ne dis pas seulement toute objection, je dirai même toute demande d’explication et d’éclaircissement. Le problème de l’union de l’âme et du corps disparaît en tant que problème ; car il suppose que la substance pensante est connue comme réalité séparée, et cette conception n’est qu’une fiction de l’entendement « Le je, écrit textuellement Biran, n’est pas la substance abstraite qui a pour attribut la pensée, mais l’individu complet dont le corps propre est une partie essentielle, constituante. » (Édit. Bertrand, p. 79.) Le vice radical de la critique dirigée par Malebranche contre le réalisme causal, se trouve dénoncé : « À la vérité, nous ne pouvons figurer ou représenter la force comme nous figurons ou représentons un centre organique et le jeu des muscles et des nerfs placés sous sa dépendance ; mais il s’agit de savoir si nous devons rejeter le fait de sens intime, d’expérience intérieure, par cette seule raison que nous ne pouvons pas le représenter ou le traduire, pour ainsi dire, en figures qui s’adressent à la vue et à l’imagination. Nous ne voyons point en nous la force qui produit les mouvements du corps ; mais nous la sentons intérieurement ou plutôt elle se sent et elle s’aperçoit elle-même. » (N., III, 464.) « Malebranche a bien pu dire que la raison ne nous apprend rien sur cette force, ou plutôt sur le comment de son action (chose qu’il confond toujours), mais le sentiment intérieur nous apprend qu’elle existe, qu’elle agit, qu’elle est efficace, qu’elle est moi[1].. » La connaissance intellectuelle du mécanisme volontaire, dont Malebranche a fait une condition nécessaire à l’affirmation de la causalité, n’est pas plus de la compétence du sentiment intérieur que le toucher ne rentre dans la compétence de la vue : « Lorsque je veux un mouvement qu’il dépend de moi de produire, je n’ai pas besoin de penser à autre chose qu’à ce mouvement, et il s’exécute immédiatement, non parce que j’y pense, mais parce que je le veux et que je le fais[2]. »

Finalement, en introduisant dans la théorie un postulat d’ordre intellectuel qui est étranger à la question, prise dans la spécificité propre, Malebranche altère les termes naturels du problème de la causalité. C’est donc à lui qu’incombera en bonne logique l’anus probandi : « Je réponds… à Male-

  1. Notes sur Malebranche, publiées par Tisserand, Revue de Métaphysique et de Morale, p. 466
  2. Nature de l’influence de la volonté sur le corps à la suite du Mémoire sur les Perceptions obscures. Édit. Tisserand, 1920, p. 55.