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démarches de l’esprit sont identiques : et elles ont, ici et là, comme appui, cette sorte de mémoire collective dont chacune des disciplines scientifiques a organisé le dépôt depuis le jour où elle a pris conscience d’une méthode définie et sûre de vérification. Cette portion du temps qui, pour les générations précédentes, apparaissait comme future et qui, pour nous, est déjà devenue le passé, sert de base au travail par quoi nous constituons l’avenir qui est encore devant nous.

Ce n’est pas tout : par une sorte de choc en retour, à mesure que se poursuit, avec le développement de la science positive, cette consolidation de l’avenir, à mesure aussi nous allons devenir plus capables de constituer le passé qui est antérieur à l’avènement de cette mémoire collective. À proprement parler, nous n’étendons pas au passé les lois du présent ; nous nous faisons un passé en supposant les lois du présent. Les phases de Vénus ont été observées pour la première fois au début du xviie siècle[1]. Nous ne croyons pas nous tromper en affirmant qu’elles étaient préalablement visibles, pour un observateur terrestre. Seulement, cette affirmation n’a d’autre fondement que la fixité des conditions qui, d’un siècle à l’autre, régissent le mouvement des astres. Si nous trouvions la restriction difficile à supporter, si, afin de nous débarrasser de ces façons de parler indirectes et laborieuses, nous voulions sauter par-dessus le principe du déterminisme, et considérer le passé en lui-même et dans l’absolu, nous aboutirions effectivement à faire évanouir le passé lui-même en tant que tel ; nous nous trouverions brusquement en face du néant.

228. — Dans les conditions où la pensée humaine s’exerce, la cause est appuyée sur le temps, et à son tour elle appuie le temps : double relativité qui met au cœur du temps la ligne de partage en quoi consiste le présent, et d’où se projette la double perspective de l’avenir et du passé.

Une fois de plus, en vue d’éclairer nos formules, nous pouvons demander un complément de lumière au rapprochement du temps et de l’espace. C’est sur le terrain de la géométrie qu’a été fondé le relativisme critique. Kant a été conduit, par le paradoxe des objets géométriques, à cette conclusion que l’espace ne saurait être érigé en objet de représentation autonome, qu’il gardait un point d’attache à

  1. Sur les circonstances de la découverte, voir Wohlwill, Galilei und sein Kampf fur die copernicanische Lehre, Hambourg et Leipzig, 1909, p. 357.