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Ici encore, l’analogie de l’espace et du temps peut devenir un guide précieux. Une théorie de l’espace, considérée comme évidente et pourtant illusoire, a rendu confuse et inextricable la théorie du temps ; si l’on a débrouillé l’énigme de l’espace, on peut espérer voir clair dans la doctrine du temps. Or, ce que la géométrie du xixe siècle a mis en évidence, c’est l’imprudence de l’extrapolation qui consistait à étendre brusquement jusqu’à l’infini les propriétés observées sur un élément spatial. La démarche proprement positive de l’esprit, et qui s’est révélée comme extraordinairement féconde, c’est celle qui procède de proche en proche, d’une façon continue.

Il n’en est pas autrement pour le temps : le déterminisme causal s’établit à partir du jour où l’hypothèse a été vérifiée par les observations faites successivement dans le laboratoire ou dans la nature ; et la notion du déterminisme s’affermit à mesure que s’accroît la somme algébrique des consolidations et des éliminations que l’expérience a permis d’opérer sur les hypothèses des lois. Par suite, le savant paraît de plus en plus fondé à étendra le déterminisme aux parties du temps qu’il n’a pas encore vécues, ou à celles qu’il lui est jamais interdit de vivre. Encore une telle façon de parler n’est-elle pas tout à fait exacte. Il ne s’agit pas d’appliquer à des temps non donnés ce qui a été vérifié pour les temps donnés ; il s’agit de constituer ces temps non donnés, à l’aide d’une contexture du temps que fournit le contrôle expérimental des relations auxquelles aboutissent les combinaisons du calcul et des observations. Par exemple, si nous isolons la numérotation arithmétique des années et la détermination des phénomènes astronomiques, nous pouvons nous demander si la prédiction d’une éclipse totale de soleil visible à Paris en l’année 1961 sera confirmée ; mais en fait la détermination des années à venir et la prévision des orbites solaire, lunaire et terrestre, tout cela fait partie d’un même système de lois, ou, si l’on préfère une notion moins ambiguë, de conditions cosmiques ; et c’est la stabilité de ces lois, de ces conditions cosmiques, qui nous donne le moyen de penser à un avenir, de le créer dans le prolongement du temps actuel — comme les relations métriques, fournies sur une portion finie de l’espace par tel ou tel type de géométrie, euclidien ou non euclidien, nous donnent le moyen de déterminer telle ou telle forme d’extension de l’espace. Entre le calendrier vulgaire qui se borne à indiquer la succession des jours et des mois, et l’annuaire du bureau des longitudes qui porte à sa précision maxima les caractéristiques des phénomènes astronomiques, la différence est dans le degré de l’approximation. Ici et là, les