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rait les démonstrations dans la plus haute excellence, s’il était possible d’y arriver, consisterait en deux choses principales : l’une, de n’employer aucun terme dont on n’eût auparavant expliqué nettement le sens ; l’autre, de n’avancer jamais aucune proposition qu’on ne démontrât par des vérités déjà connues ; c’est-à-dire, en un mot, à définir tous les termes et à prouver toutes les propositions ». Or, s’il y a au monde une évidence qui s’impose, c’est qu’on ne saurait rien définir à l’aide de rien, rien démontrer à partir de rien. Il n’y a là nullement un signe d’impuissance, comme s’il s’agissait d’une perfection qui dépasse la nature de l’homme. Le problème est impossible à résoudre, simplement, évidemment parce qu’il est posé en termes contradictoires ; la faute est tout entière à la charge de celui qui n’en a pas aperçu la contradiction[1].

Il en est de même pour la causalité : « Donc toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible, dit ailleurs Pascal, de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties[2]. »

Assurément, s’il en était ainsi, l’homme aurait tort de parler de causalité. Mais, quelque rôle qu’il ait dû faire jouer dans l’apologie qu’il avait projetée, au développement sur les deux infinis, Pascal, en tant que physicien, ne croyait assurément pas qu’il en fût ainsi ; et celui-là seul le croira, qui a préalablement décidé que l’homme aurait tort, et prend sa volonté pour une raison. En fait, c’est une présupposition ontologique, imputable au réalisme déductif de la scolastique, d’exiger que la science commence par poser l’universalité absolue et l’extension infinie de la causalité, avant d’aborder, à l’intérieur de systèmes conservatifs, la recherche de relations déterminées de causalité.

227. — Nous sommes donc tout à fait libres de nous délivrer de l’antinomie à laquelle conduirait l’absolu d’un déterminisme universel ; nous avons, tout simplement, à ne pas nous détourner des conditions effectives dans lesquelles le problème se définit réellement et réellement se résout, en refusant de soulever une question chimérique qui crée, sinon consciemment, du moins systématiquement, la déception finale.

  1. Les Étapes de la Philosophie mathématique, § 255, p. 425.
  2. Pensées, édit. Hachette, section II, fr. 72. — Cf. Lalande, Remarques sur le Principe de causalité (Revue Philosophique, 1890, t. II, p. 232).