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226. — Dès lors, et à partir du moment où nous l’effectuons (condition qui paraît évidente et qu’il faut pourtant expliciter afin d’éviter les confusions auxquelles le dogmatisme renouviériste a été entraîné pour avoir évoqué une origine absolue des temps situés hors de toute conscience et par delà le travail effectif de la pensée), cette constitution se fera dans le sens du temps : la science anticipe par le cours de la pensée sur le cours de la nature. Tout contrôle consistera donc à créer des points d’intersection où doivent, au moment fixé par la théorie, coïncider le cours de la pensée et le cours de la nature. Le passage de l’événement conçu comme futur à l’événement constaté comme actuel érige l’hypothèse en thèse, comme il transforme ma pensée passée, qui était prévision, en pensée actuelle, qui est vision.

C’est donc bien parce qu’il va vers l’avenir que l’homme va vers la vérité. Ainsi les astronomes ont détaché de l’univers le système planétaire, pour en faire l’objet d’une discipline particulière : la mécanique céleste ; et, grâce aux efforts combinés de l’observation et du calcul, ils sont en état d’indiquer pour l’année nouvelle, le jour, l’heure, la minute, la seconde, où seront visibles, en certaines zones déterminées de la surface terrestre, des éclipses totales du soleil ou de la lune. Au cours de cette année nouvelle, le témoignage de l’expérience se produira, fournissant une confirmation de plus, peut-être une occasion de rectification, à l’ensemble des connaissances que comporte l’astronomie actuelle.

Tout cela est très clair, on serait tenté de dire trop clair ; car de là devait inévitablement naître, pour les savants et pour les philosophes, la tentation d’abuser de cette clarté pour étendre à l’infini, pour ériger en absolu, le double succès de la liaison temporelle et de la relation causale.

Comme avaient déjà fait les métaphysiciens qui avaient spéculé sur l’espace de la géométrie euclidienne, considéré comme unique et comme nécessaire, et portés également par un élan inconscient de l’intelligence, ils ont extrapolé dans le vide, sans résistance comme sans limite. Plus exactement ils se sont donné, sous le nom de vide (ou d’éther), un milieu qui fût propice à l’extrapolation indéfinie. Procédé d’une facilité séduisante, mais qui a créé les difficultés factices contre lesquelles nous les avons vus ensuite se débattre si vivement.

Le vice du raisonnement est pourtant palpable, et depuis des siècles l’illogicité caractéristique du panlogisme a été dénoncée : de ce que les géomètres définissent et démontrent, on conclut, suivant les expressions classiques du Fragment sur l’Esprit géométrique, que la « véritable méthode, qui forme-