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CHAPITRE IV


EXAMEN DE LA DOCTRINE BIRANIENNE


14. — De Malebranche à Maine de Biran, la pensée philosophique a opéré une révolution totale. Ce ne sont pas les solutions qui s’opposent sur un même problème, ce sont les manières de poser le problème. Les valeurs sont distribuées de façon toute contraire, comme si les deux philosophes étaient destinés à vivre aux antipodes l’un de l’autre, ou plus exactement comme si l’esprit de Maine de Biran était incapable de rien apercevoir de distinct et de certain sinon dans les conditions mêmes où pour un esprit tel que Malebranche c’est la nuit complète. Selon Malebranche, le point de départ nécessaire à toute réflexion, c’est la distinction cartésienne entre l’idée claire de la substance pensante et l’idée claire de la substance étendue. L’union de l’âme et du corps, qui sont hétérogènes de leur nature, est le mystère par excellence, dont le secret est en Dieu seul. Un tel processus, qui dérive de la méthode cartésienne, est, suivant Biran, le renversement de l’ordre véritable : « Étant donnée, dit-il, une première causalité de fait, nous pouvons en chercher la raison ou l’explication dans la relation des deux substances ; mais il serait contraire à toute bonne psychologie de vouloir commencer par l’absolu de la raison, pour en déduire la vérité du fait lui-même. » (Édit. Cousin, IV, p. 351.) Et il écrit dans l’Anthropologie : « Ce n’est point la liaison des deux substances, ou celle de la force agissante et de son terme d’application immédiate, qui fait le grand mystère de l’humanité, ou le grand problème de la psychologie. Cette liaison étant une donnée primitive de la conscience ou de l’existence de l’homme, le mystère serait plutôt dans la possibilité ou la nécessité même de concevoir, ou de croire, la réalité absolue de chacun des termes séparés l’un de l’autre, problème vraiment insoluble a priori, si le fait de conscience ne servait pas d’antécédent et de preuve justificative à la croyance de l’absolu. » (N., III, 440).

Dès lors, toute objection qui serait produite du point de