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n’a rien d’obscur, une fois que l’on consent à parler de Dieu dans le langage directement et naïvement anthropomorphique auquel Newton se laisse perpétuellement entraîner en dépit de ses propres déclarations.

Seulement, si l’on professe que le langage de la théologie traditionnelle n’a rien à faire dans une discipline qui veut être scientifique, il ne restera des formules newtoniennes que l’impuissance de l’homme à surmonter la dualité des notions sur le temps, dualité qui est cependant requise pour l’intelligibilité du système. De sorte que le savant d’esprit « positif » en est réduit à prendre acte de la difficulté, attestant par la façon même dont il l’énonce qu’elle est inextricable, et à passer outre. Ainsi d’Alembert écrit, en 1743, dans la Préface de sa Dynamique (p. vii) : « Le temps de sa nature coule uniformément, et la mécanique suppose cette uniformité. Du reste, sans connaître le temps en lui-même et sans en avoir de mesure précise, nous ne pouvons représenter plus clairement le rapport de ses parties que par celui des portions d’une ligne droite indéfinie. » Et sans doute d’Alembert pense avoir tout gagné, en reléguant dans le royaume des essences inaccessibles à l’homme la réalité du temps, caractérisée par l’uniformité de son flux. Mais c’est une question de savoir s’il n’est pas dupe d’un excès de prudence. Une fois séparé de la réalité à mesurer, le temps de la mécanique est destiné à s’évanouir dans ce qu’on pourrait appeler l’absolu de sa relativité. Inévitablement il va participer au caractère conventionnel et arbitraire des divisions que les peuples ont établies pour la commodité de la pratique sociale et qu’ils ont fixées dans leurs différents calendriers. Or, si l’idée de convention ne soulève aucune difficulté tant que la convention apparaît à un certain moment dans le développement de la pensée humaine, s’appuyant sur des bases déjà constituées qui permettent d’en définir avec précision les conditions et la portée, il est impossible d’en dire autant lorsque l’idée de convention est étendue aux notions fondamentales que rien ne précède ni n’explique. Le conventionalisme, qui paraît alors irrésistible, est devenu absurde, en ce sens qu’il a récusé lui-même la règle qui permettrait de distinguer entre ce qui est absurde et ce qui ne l’est pas.

222. — De cette difficulté à laquelle se heurte, en fait, l’introduction de la notion de temps, la raison était déjà dévoilée dans les chapitres consacrés par Locke et Leibniz à la théorie du temps (les Nouveaux Essais de Leibniz ne furent d’ailleurs publiés qu’en 1765).