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CHAPITRE XLVIII


LE CHAMP TEMPOREL


221. La façon dont le temps a été introduit dans la mécanique classique s’explique tout naturellement lorsque l’on remonte à la conception de la mathématique universelle, sur laquelle Descartes avait fait reposer l’édifice de la physique moderne. À la base de cette conception se trouve la notion de dimension entendue dans une acception générale comme correspondant à l’idée claire et distincte de ce qui se laisse mesurer. « Per dimensionem, est-il dit dans les Regulæ (XIV), nihil aliud intelligimus quam modum et rationem, secundum quam aliquod subjectum consideratur esse mensurabile. » Alors, remarque Descartes, les dimensions de l’espace sont seulement des cas particuliers où cette notion s’applique ; la pesanteur et la vitesse sont également des dimensions, et à ces exemples, on pourrait en ajouter une infinité d’autres.

De ce point de vue, le temps sera une dimension : la conception prend sa forme classique avec les Principes de Newton. Le temps y est présenté, comme l’espace, sous un double aspect : temps absolu exprimant la réalité à mesurer, temps relatif exprimant le résultat de la mesure. Tempus absolutum, verum et mathematicum, in se et natura sua absque relatione ad externum quodvis, sequabiliter fluit, alioque nomine dicitur duratio. Relativum, apparens et vulgare, est sensibilis et externa quævis durationis per motum mensura (seu accurata seu inæquabilis) qua vulgus vice veri temporis utitur, ut Hora, Dies, Mensis, Annus. »

Les formules de Newton seraient dépourvues de signification s’il n’y avait un rapport entre la réalité du temps qui est à mesurer d’une part, et d’autre part la relativité du temps une fois qu’il a été soumis aux instruments de mesure. Or, puisque l’homme, ne vivant qu’un moment à la fois, est incapable de prendre possession de la totalité des moments qui constituent dans son cours régulier l’ensemble du temps, Newton ne peut fonder l’objectivité du temps qu’à la condition d’imaginer un Dieu, à qui son éternité confère le privilège d’être contemporain de tous les temps, de même qu’il est présent à l’immensité de l’espace. Une telle imagination