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220. — S’il en est ainsi à l’intérieur d’un domaine scientifique, à plus forte raison devrons-nous nous mettre en garde contre l’absolu des correspondances exactes (et aussi contre l’absolu, inverse, des oppositions radicales) lorsqu’il s’agit de saisir les rapports entre les divers ordres de sciences ou de catégories, de fixer la physionomie de la physique en face de la mathématique, la nature du temps ou de la cause vis-à-vis du nombre ou de l’espace.

D’une façon générale, la philosophie moderne a supposé la correspondance entre l’espace et le temps. La lettre à Louis Meyer, de Spinoza, les définitions initiales des Principes de Newton, les formules de la Correspondance de Leibniz avec Clarke, les notions maîtresses de l’Esthétique transcendantale, montrent à quel point, dans le rationalisme classique, le temps a partagé la destinée de l’espace. Mais la signification de ce parallélisme n’est ni simple ni univoque ; elle varie suivant que se modifie la notion fondamentale à laquelle se réfère ce parallélisme. Ici, par exemple, il voudra dire que le temps est une grandeur infinie donnée, comme l’espace lui-même, et caractérisée comme lui par des rapports d’extériorité. Là, au contraire, il aura cette conséquence de faire participer le temps, comme l’espace, au progrès d’intelligence qui transforme la représentation d’une multiplicité de juxtaposition en l’unité intensive d’un continu infini et éternel.

Cette remarque a une contre-partie. La négation du parallélisme comporte également des interprétations divergentes ; de quoi témoigne, avec l’éclat que l’on sait, la doctrine de M. Bergson. L’antithèse a son maximum de simplicité et d’acuité dans l’Essai sur les Données immédiates de la Conscience. Mais avec les nouveaux problèmes qu’étudie Matière et Mémoire, la durée, qui pouvait sembler consister surtout à ramasser le passé de l’être pour en nourrir, pour en charger, l’actualité du présent, se dilate et s’épanouit dans la totalité, au moins virtuelle, du souvenir pur, tandis que la quantité pure, à laquelle se réduit l’espace du géomètre, se double d’une extension qualitative, qui est inhérente aux sensations.

Voilà pourquoi il nous a paru que c’était une précaution utile, avant d’aborder le domaine proprement physique, de dégager de tout postulat implicite l’idée de la connaissance perceptive d’une part, d’autre part des principes mathématiques, d’écarter également les présuppositions sur la correspondance, ou sur l’antagonisme, entre l’espace et le temps, de façon à pouvoir recueillir, sans trop céder au préjugé, « les particularités d’accord ou de désaccord ».