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LIVRE XVIII

Temps et Causalité.




219. — Il est arrivé à plus d’un érudit, en utilisant des documents inédits ou en analysant d’une façon plus serrée les témoignages déjà connus, de renverser l’idée qu’on se faisait jusque-là du caractère d’un souverain, ou de l’orientation d’une négociation diplomatique. Le service ainsi rendu est incontestable. Pourtant il suscite un certain embarras quand on essaie d’en apprécier la portée. Spontanément, en effet, l’on serait tenté d’insérer les résultats qui viennent d’être acquis à l’histoire dans le cadre des jugements traditionnels sur les prédécesseurs ou sur les successeurs de ce souverain ou de ces diplomates dont soudain la conduite est présentée sous un jour inattendu. Mais nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander ce qui se produirait si pour les époques antérieures ou postérieures il était procédé aussi à semblable revision : nous hésitons à coudre bout à bout des conclusions qui se réfèrent à des états inégalement avancés de notre savoir.

C’est une réflexion de même ordre que suggère le passage du domaine proprement mathématique au domaine physique, ainsi que l’a finement et profondément remarqué M. Pierre Boutroux[1], en examinant la critique, faite par Duhem, de la méthodologie classique. D’une part, Duhem a dénoncé la fragilité des affirmations tant de fois répétées sur la valeur objective de l’induction baconienne, en particulier sur le rôle décisif de l’expérience cruciale ; d’autre part, on dirait, par instants, qu’il accepte, les yeux fermés, la tradition pédagogique qui apparente les mathématiques au mécanisme formel du syllogisme, alors que l’œuvre épistémologique d’un Poincaré, contemporaine de la sienne et qui lui est en quelque sorte parallèle, aboutit à réintégrer dans le

  1. L’idéal scientifique des mathématiciens, 1920, p. 234 et suiv.