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Par contre, le relativisme critique exige sans doute de nous un effort assez dur ; il faudra résister à la prétendue évidence de l’espace en soi, il faudra, pour saisir à sa racine la vérité géométrique, mettre l’activité de l’intelligence mathématique en connexion avec le travail de l’organisation perceptive ; il faudra enfin reconnaître le paradoxe des objets géométriques et l’impossibilité de démontrer le postulat d’Euclide comme des limites à la rationalité de la science. Mais ces résistances, que l’on a interprétées d’abord comme des échecs, il convient d’y voir les heureux avertissements qui ont préservé l’humanité de la catastrophe finale. Ou plus exactement, si la victoire a été obtenue, c’est parce que le tracé des figures idéales a commencé par être le contour des choses réelles, parce que l’espace s’est peuplé, s’est prolongé, s’est rectifié, tant par la corrélation avec les observations du processus temporel que par la possibilité de recourir à différents types de métrique.

Concevoir l’espace et le remplir, cela ne fait pas deux problèmes, dont l’un a pu être entièrement résolu à part de l’autre. L’effort séculaire qui paraissait avoir atteint son terme avec Euclide, qui s’est renouvelé avec Lobatscheswki et Riemann, pour déterminer les propriétés de l’espace abstrait, l’effort séculaire qui s’est poursuivi depuis les prêtres chaldéens jusqu’à M. Einstein pour déterminer l’étendue concrète de l’univers, ne correspondent ni à deux drames différents, ni à deux actes successifs d’un même drame. C’est sur une scène unique que les acteurs humains, si nombreux et si divers qu’ils soient, se donnent la réplique les uns aux autres dans une action ininterrompue.