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disposé à en contester l’existence. En tout cas, il lui dénie toute signification privilégiée pour la révélation de la causalité. Au contraire, la causalité se saisira sur le vif, à la condition que l’on dégage, et que l’on observe pour lui-même le moment consécutif à la détermination de la volonté, le moment de l’effort musculaire. « Le moi ne commence à exister pour lui-même qu’à l’exercice de la libre activité, ou dans l’effort voulu auquel correspond une sensation particulière, sui generis, liée à cet effort comme l’effet à sa cause. Le moi est tout entier et indivisiblement dans ce rapport de la cause agissante à l’effet produit. La cause se sent ou s’aperçoit elle-même dans l’effort qui n’est lui-même senti ou aperçu dans le fait de conscience que par la sensation musculaire qu’il produit[1]. »

Telle est l’expérience originale de la causalité dont le caractère est d’être à la fois double et simple : « L’effort voulu et immédiatement aperçu et dans sa détermination et dans la motion active (phénomène de conscience aperçu ainsi comme effet qui manifeste nécessairement sa cause productive), est un seul fait composé de deux éléments, un seul rapport à deux termes, dont l’un ne peut être isolé de l’autre sans changer de nature ou sans passer du concret à l’abstrait, du relatif à l’absolu. Le vouloir considéré dans l’âme, hors de son effet, se résout dans la notion de force absolue, notion d’une genre tout différent et qui ne saurait être primitive. D’un autre côté, la motion considérée objectivement dans l’organe musculaire séparément du vouloir qui l’actualise ou s’actualise en elle, est un fait physiologique ou une sensation comme une autre, qui n’a rien d’actif. En affirmant la connexion, je ne dis pas entre deux faits, mais entre deux éléments nécessaires d’un même fait, nous ne faisons qu’exprimer le fait primitif de conscience, nous n’allons point au delà[2]. »

  1. Prolégomènes psychologiques. Édition Cousin, III, 305. Cf. Le discours lu dans une assemblée philosophique en 1814, publié par M. Tisserand. (Revue de Métaphysique et de Morale, 1906, p. 433.) « On ne se donne à soi-même de certificat de vie que par la pensée ; or, il n’y a point de pensée sans action, ou sans quelque degré d’effort. Sentir ou apercevoir son action, c’est se sentir ou s’apercevoir soi-même comme agissant et sous la relation de la cause opérante à un mode de mouvement qui est opéré comme effet.
  2. Réponses à M. Stapfer. Cousin. IV, 372. Cf. Sur certains passages de Malebranche et de Bossuet. (Cousin, III, 333) : « Il n’y a réellement aucune succession entre l’effort ou le vouloir et le mouvement opéré et senti comme effet de la cause ou force moi, qui s’aperçoit elle-même dans son effet. »