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telligence, qui a conduit à des conséquences susceptibles de vérification expérimentale. Grâce à l’extrapolation einsteinienne, le philosophe va se trouver définitivement affranchi du préjugé séculaire suivant lequel l’antinomie du fini et de l’infini, imposée par la considération du seul espace euclidien, était supposée manifester l’incompatibilité définitive de l’esprit humain et de la réalité naturelle.

À la lumière de la théorie de la relativité, il apparaît désormais que l’espace euclidien est un espace sans matière, dont les contradictions révélaient, non l’impuissance de l’esprit, mais ce qui se dissimulait d’abstraction implicite dans le parti pris d’ériger un tel espace en objet de représentation adéquate, d’en faire à la fois la norme de l’intelligible et le réceptacle du réel. À vouloir résoudre les antinomies mathématiques avant d’aborder le domaine physique, on risquait d’entraîner l’intelligence de la réalité physique dans l’embarras inextricable où se débattait la prétendue intuition de l’espace en tant qu’espace. Pour entrevoir la solution de la crise, provoquée par cette manière d’aborder le problème, il ne fallait rien de moins que la revision fondamentale des lois qui présidaient à la division du travail entre mathématiciens et physiciens. Le mécanisme cartésien renvoyait le physicien au mathématicien, qui était supposé en possession d’une notion claire et complète de l’espace ; la géométrie non euclidienne, dès les premières ouvertures qu’y avaient tracées Gauss et Lobatschewski, se manifeste comme renvoyant le mathématicien au physicien.

Or, avec la théorie de la relativité générale, le physicien apporte la réponse aux questions sur lesquelles le progrès inattendu des mathématiques avait montré la nécessité de consulter l’univers. Et de là se dégage, pour le philosophe, la conclusion suivante : la géométrie est une discipline indépendante, elle n’a pas un objet indépendant. Autrement dit, on a bien, pour débarrasser de toute préoccupation étrangère le travail technique du mathématicien, pour se conformer aussi aux habitudes séculaires de l’enseignement, le droit d’ériger la géométrie en corps de doctrine déductive, de constituer ce qu’on appelle une géométrie axiomatique pure, où l’axiome d’ailleurs perd la signification rationnelle d’une proposition évidente pour ne plus désigner qu’une convention de langage. Mais cette axiomatique est un système d’abstractions qui intéresse les procédés du discours, et non la structure du savoir, qui risquerait par conséquent d’égarer le logicien à la recherche d’une vaine méthodologie. La géométrie ne prend sa valeur de vérité que si l’axiomatique en est complétée par