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Mais, une fois de plus, nous devons prendre garde à la complexité réelle qui se glisse et se dissimule sous le vocable de la simplicité. Si l’instrument est simple, cette simplicité initiale ne fournit aucune garantie contre les complications croissantes que l’usage en décèlera. Une prudence élémentaire commandait donc de réserver l’avenir : « Quand on admet que toute mesure de l’espace est indivisiblement d’ordre géométrique et d’ordre physique… on reconnaît par là même qu’il pourrait se faire que la considération… de toutes les disciplines à la fois contraignît la science à une constatation telle que celle-ci : si l’on accepte les hypothèses d’un espace non euclidien, les diverses théories de la physico-chimie, compliquées et disparates dans toute autre conception, acquerront tout d’un coup simplicité et harmonie[1]. » Or, c’est ce qui s’est produit avec la théorie de la relativité généralisée.

Déjà du point de vue purement spéculatif il y avait entre la géométrie d’Euclide et la géométrie de Riemann cette différence qu’avec la première l’antinomie du fini et de l’infini paraissait inévitable, tandis que la seconde permet de reconnaître l’illimitation de l’espace, et de ne pas en conclure pourtant qu’il soit infini : « Au contraire, sans tomber en contradiction avec notre intuition, qui ne s’applique jamais qu’à une portion finie de l’espace, on pourrait concevoir que l’espace fût fini et fermé sur lui-même ; la géométrie de notre espace se présenterait alors comme la géométrie sur une sphère à trois dimensions placée dans une multiplicité à quatre dimensions[2]. » Autrement dit, la géométrie de Riemann insère un moyen terme entre l’infini brut, qui soulève la difficulté insurmontable de remplir l’espace d’un contenu adéquat, et le fini brut qui nous imposerait la représentation d’une frontière déterminée à l’intérieur de laquelle il y aurait l’espace, au delà de laquelle ne subsisterait plus rien, même pas l’abstraction du vide. Ce moyen terme, Descartes l’avait cherché vainement ; il n’avait réussi qu’à le baptiser, lorsqu’il avait déclaré que « l’étendue du monde est indéfinie ». (Principes, II, 21.) L’espace riemannien n’est ni fini ni infini, il est fermé sur soi : « On n’en trouvera jamais le bout, mais on pourra en faire le tour[3]. »

Ainsi, la découverte riemannienne fournissait, sinon une illustration pour l’imagination proprement spatiale, du moins une expression d’ordre géométrique pour la solution de la

  1. Les Étapes de la philosophie mathématique, 1912, § 326, p. 519.
  2. Félix Klein, Sur la géométrie dite non euclidienne, Math. Annalen, t. IV, trad. Laugel, p. 5.
  3. Poincaré, La Science et l’Hypothèse, p. 53.