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manifeste ce principe « qu’il n’y a ni plus ni moins de sept astres errants[1] ».

Le problème du peuplement de l’espace céleste est naturellement lié à la question de la grandeur des astres, dont les conséquences ne peuvent manquer à leur tour de rejaillir sur la notion de l’espace lui-même. Pour connaître les dimensions des astres, l’homme a le sentiment qu’il doit lutter à nouveau contre les apparences de la perspective. Seulement, s’il récuse la vérité de cet espace perspectif, ce n’est plus, comme dans le domaine des objets terrestres, au profit d’un espace vrai dont il est aisé de se procurer l’intuition. L’effort de rectification que l’on voit se poursuivre à travers la pensée grecque, avec les penseurs grecs, par exemple avec Anaxagore, affirmant que le soleil surpasse le Péloponèse en grandeur[2], conduit à un espace astronomique dont nous ne pouvons avoir aucune intuition. L’astronome le plus averti des mesures de la distance et du diamètre du soleil, n’en continue pas moins à voir de ses yeux un disque assez petit, de même qu’il contemple comme réalité présente la lumière d’une étoile, dont il a pourtant compris qu’elle a pu disparaître depuis des dizaines d’années. L’espace, dans lequel le soleil est très grand par rapport à la terre, n’est susceptible d’aucune représentation ; pour reprendre une distinction de Leibniz, il est indépendant de l’observation, s’il ne l’est pas de l’observabilité[3].

De la liaison paradoxale qui s’établit entre la vérité objective et l’entière idéalité de l’espace astronomique, le réalisme intuitif du sens commun est hors d’état de rendre compte ; et c’est pourquoi Épicure ne fait que suivre jusqu’au bout la logique de la doctrine, en maintenant l’unité de l’espace terrestre ou céleste, en laissant aux astres leurs dimensions apparentes[4].

  1. Texte du platonicien Dercyllide (qui vivait au temps d’Auguste), conservé par Théon de Smyrne, Liber de Astronomia, édit. Dupuis, p. 322. Cf. Duhem, Le Système du Monde, t. I, 1913, p. 469.
  2. Cf. Zeller, La Philosophie des Grecs, trad. E. Boutroux, t. II, 1882, p. 116, note 5, et Paul Tannery, Pour l’Histoire de la Science hellène, 1887, p. 297.
  3. Cf. Cinquième Écrit contre Clarke, sur 13, § 52. G. VII, 403.
  4. « Quant à la grandeur du soleil, de la lune et des autres astres, elle est relativement à nous, telle qu’elle nous paraît être ; en soi, elle est plus grande, ou un peu plus petite que la grandeur perçue, ou enfin égale à celle-ci : car il en est ainsi pour la grandeur des feux que nous apercevons à distance sur la terre, lorsque nous venons à confronter les apparences avec la sensation que ces feux vus de près produisent en nous. Toute objection sur ce point peut se résoudre aisément pourvu qu’on s’attache aux témoignages évidents des sens, et c’est ce que j’ai montré dans mon Traité sur la Nature. » (Lettre à Pythoclès, trad. Hamelin, Revue de Métaphysique et de Morale, 1910, p. 422.)