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la distance optima pour ta vision distincte et au contact immédiat des mains qui l’embrassent ou le parcourent. Or c’est pour l’homme un fait d’observation, et qui doit être regardé ici comme un fait fondamental, qu’un tel contour a une grandeur fixe. Si on tente de le réproduire par un tracé approprié, il est possible d’apprécier l’exactitude du dessin, en appliquant la figure obtenue sur l’objet lui-même, et en appelant les yeux à juger de la coïncidence.

Ainsi « l’objet de la spéculation géométrique » ne se présente pas comme une simple donnée de l’expérience ; il doit sa naissance à la découverte d’une relation sur laquelle se fonde un jugement de vérité : c’est la production par le dessin d’un contour qui viendra s’appliquer sur l’objet, de telle sorte que la constatation de la coïncidence garantisse l’exactitude du tracé. Dans cette opération constitutive du tracé se dégage la condition élémentaire de la réalité géométrique : ce ne sera nullement une partie d’espace que l’on se représente à titre d’objet ; c’est la ligne que l’on trace, c’est l’image en tant qu’elle correspond à une action, le trait-image.

La géométrie se définira donc d’abord l’activité constitutive d’un espace vrai. C’est ce dont les premiers postulats euclidiens portent la trace significative. Par le premier il est demandé de mener de tout point à tout point une ligne droite. Le troisième demande la possibilité de décrire un cercle de tout centre et de tout rayon. Faire mouvoir le rayon du cercle dans toutes les directions, c’est transporter d’une ligne à l’autre la mesure d’égalité, c’est établir par conséquent une norme de vérité à l’intérieur de l’horizon donné. Un autre postulat, le second, est nécessaire pour assurer l’extension de cet horizon : il consiste à demander qu’il soit possible de prolonger une droite limitée en ligne droite et en continuité. Une telle demande a paru singulière ; et en effet rien ne serait plus paradoxal dans l’hypothèse où le géomètre disposerait, avant de se mettre au travail, d’un espace homogène et illimité qui servirait de soutien, de suppôt, à ses spéculations, où l’objet de la science existerait avant la science. Mais le paradoxe n’est-il pas ici, pourrait-on dire, créé par l’illusion du sens commun qui réalise, qui substantifie, tout ce à quoi il s’applique ?

Cessons d’ériger l’espace en objet de contemplation statique ; revenons au processus intellectuel dont dérive la discipline propre d’Euclide. Nous serons à la racine du développement en « longues chaînes de raisons », qui explique le rôle hors de pair joué par la géométrie dans l’histoire de la pensée humaine. Une science se constitue qui ne doit qu’à