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d’éclaircir et de mettre hors de toute contestation, en le saisissant comme rapport de causalité, ce même fait primitif de conscience dont Descartes avait donné une interprétation confuse et douteuse, parce qu’il était demeuré placé au point de vue de la substance. « L’idée de substance ne se laisse point ici ramener au fait de conscience comme à son antécédent psychologique ; nous concevons la substance, nous ne la sentons pas, nous ne l’apercevons pas intimement, tandis que nous apercevons en nous la force, en même temps que nous la concevons hors de nous ou dans l’objet[1]. »

Ainsi, entre la notion de substance et la notion de causalité il y a une différence radicale de rythme : suivant l’une on va du dehors au dedans, suivant l’autre du dedans au dehors. Mais il ne suffira pas de substituer simplement la causalité à la substance, dont la prédominance manifestait la tendance secrète à faire de la représentation visuelle la norme de toute connaissance claire. L’important, c’est que, dans le travail pour rapporter la causalité au sujet conscient, on sache se prémunir contre la confusion dont le substantialisme cartésien a été victime et que n’a pas su éviter le dynamisme de Leibniz ; c’est qu’on soit capable de rattacher l’absolu, qui est l’objet de l’aspiration métaphysique, au fait que la réflexion atteint dans la conscience : « Une grande cause de mécomptes, d’erreurs et de dissensions interminables parmi les métaphysiciens, y compris Descartes et Leibnitz, a été de partir des notions de l’être, de la substance, de la force, comme ayant leur type exclusif et primitif dans l’absolu de l’âme substance ou force, au lieu de partir de l’idée ou du sentiment relatif, du moi individuel, qui ne s’aperçoit ou n’existe pour lui-même qu’à titre de cause ou de force agissante sur une substance étendue. Dans le premier point de vue, celui des métaphysiciens, le point de départ est une abstraction ou une notion très élaborée ; dans le second, c’est un fait, le fait primitif du sens intime, qui est l’origine de tout, d’où toute science doit être dérivée[2]. »

Nous avons achevé de dissiper les préjugés qui interposaient un voile entre nous-même et nous-même, qui nous empêchaient de nous éclairer à la lumière originelle du fait primitif. Désormais le philosophe sait exactement ce qu’il cherche ; et, du coup, il s’aperçoit qu’il n’a plus à le chercher davantage : car cela nous est donné sans que nous

  1. Doctrine philosophique de Leibnitz. Édit. Cousin, t. IV, p. 329.
  2. Rapports des sciences naturelles avec la psychologie, 1813. Édition Bertrand, p. 163.