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CHAPITRE XLV


THÉORIE INTELLECTUALISTE
DE LA PERCEPTION


208. — Les discussions qui précèdent feraient comprendre, si du moins nous avons atteint notre but, comment les difficultés principales qui ont déterminé la crise des doctrines physiques à la fin du xixe siècle, tiennent au défaut d’une théorie de la connaissance, suffisamment approfondie pour apercevoir ce que la doctrine kantienne présentait tout à la fois, et de fond solide, et de délimitation trop étroite. La tâche actuelle du philosophe consisterait donc à dégager définitivement le relativisme critique des postulats mêmes que Kant avait empruntés au réalisme logique et au réalisme psychologique, et qui, selon nous, entraînent la fragilité des thèses soutenues dans l’Esthétique transcendantale.

La vérité fondamentale du relativisme critique, c’est que l’analyse propre à la psychologie n’est pas une décomposition du type chimique ; c’est un procédé de réflexion par lequel on remonte du travail accompli aux conditions qui l’ont rendu possible. Le simple psychologique auquel aboutissait la première analyse, l’analyse élémentaire, c’était la sensation. Suivant l’analyse réflexive, le simple psychologique, l’élément spécifiquement irréductible de la perception, c’est l’affirmation qui au sens propre confère l’existence, c’est le jugement : Cela est[1]. Considéré en lui-même, sans doute, un tel jugement n’implique aucune détermination d’un contenu quelconque ; l’élimination critique des apports successifs de la mémoire et de l’intelligence, réduit la conscience initiale du fait d’expérience à cette sorte de choc instantané, de piqûre fugitive, que nous expérimentons quand nous croyons dans la nuit, sans en être tout à fait sûrs, avoir aperçu un éclair ou entendu un bruit. Ce jugement, qui n’apporte nullement avec lui la détermination de son objet, qui n’est accompagné d’aucune intuition immédiate, c’est cependant

  1. La Modalité du Jugement, 1897, p. 116.