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CHAPITRE XLIII


LA PHYSIQUE DES PRINCIPES


198. — On voit quel cycle complet d’évolution la pensée moderne a parcouru, pour en arriver à étendre sur la science tout entière le terme de convention, dont jadis Diderot avait risqué l’application aux mathématiques. Que l’on se reporte sur ce point à l’Esprit des Lois. L’inspiration de Montesquieu (soulignée, comme il était d’usage à cette époque, par la violence de l’attaque contre l’auteur de l’Éthique) est nettement spinoziste. Les essences purement idéales sont comprises dans l’entendement infini de Dieu au même titre que les essences formelles, celles qui correspondent à des objets existants ; de même que les sécantes, non tracées dans un cercle, ont les mêmes propriétés que celles qui sont effectivement tracées[1]. Telle est la conception que Montesquieu a traduite en termes admirables : « Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste, que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eût tracé de cercle tous les rayons n’étaient pas égaux. »

Que l’on passe de là maintenant à la théorie qui réduit les principes de la mécanique à de simples conventions, on y trouve une entière interversion dans les rapports entre la loi naturelle et entre la loi civile. Le rationalisme du xviiie siècle demandait à la loi civile de s’élever jusqu’au niveau intrinsèque de la loi rationnelle. Voici que la loi rationnelle descend au niveau de la « synthèse subjective », où la loi civile est placée.

Mais alors la question décisive se pose de savoir si, une fois parvenue à son terme, cette interversion des valeurs n’a pas pour résultat de ruiner l’idée même qui en avait été le point de départ : la distinction de l’ordre naturel et de l’ordre conventionnel, de la ϕύσις et du νόμος. En effet, quand on parle de la convention relative au choix de telle ou telle unité de mesure, on comprend très bien ce que l’on dit : car l’on

  1. Éth. Part. II, prop. 8, et Scholie.