Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réceptivité, si aux données du tact ne se trouve pas naturellement associée une réaction du sujet, si des sensations telles que la pression et l’effort ne nous donnent pas le droit du parler d’un « toucher actif ». (N., II, 105.)

11. — Telle est la première étape de la doctrine biranienne, et qu’à vrai dira, depuis Condillac, les idéologues, qui furent les premiers maîtres de Biran, avaient déjà franchie[1]. Mais de l’idéologie Biran se sert comme d’une introduction à la démarche décisive qui ramène la réflexion au centre de la réalité causale. Et cette démarche consiste à placer de nouveau le sensualisme en face de la sensation, dont il a prétendu faire le principe universel, dont il a laisse échapper la nature véritable. « La sensation, telle que Condillac et Bonnet l’ont considérée également, chacun de son côté, quand ils ont voulu se placer à l’origine de la connaissance, la sensation simple, dis-je, n’est pas un fait. » (N., I, 36.) Et l’erreur du sensualisme s’explique encore ici par la tyrannie des sensations visuelles : c’est l’illusion du spectateur qui, à force d’être attentif au spectacle qui se déroule devant lui, finit par oublier sa propre présence et par ne considérer que les objets placés devant ses yeux. Il suffit de se ressaisir soi-même, de réfléchir sur la relation nécessaire du spectacle au spectateur, pour se rendre compte que la sensation ne peut être un fait en soi ; elle est un fait de conscience, inséparable de la conscience elle-même. Il est donc légitime de dire que « le fait primitif pour nous, n’est point la sensation toute seule, mais l’idée de la sensation qui n’a lieu qu’autant que l’impression sensible concourt avec l’individualité personnelle du moi ». (N., I, 39.)

Ainsi, faisant fond sur la sensation seule, Biran est conduit à y impliquer la prise de possession de la sensation par le sujet sentant. Par là, il est ramené de l’empirisme du xviiie siècle à la proposition fondamentale de Descartes : Cogito, ergo sum. Et la critique de Descartes sera, pour Biran, l’occasion d’un nouveau progrès : « En s’arrêtant au fait qui lui sert de point de départ, et négligeant la forme, on trouve, dans la liaison immédiate énoncée par son principe entre la pensée et l’existence du moi, le vrai principe générateur et la source réelle de toute évidence. Pour la reconnaître, cette évidence immédiate, il faut savoir se placer avec lui dans le point de vue de l’aperception interne, et mieux que lui ramener le fait du sens intime à sa valeur originelle, sans le

  1. Delbos : Les deux Mémoires de Maine de Biran sur l’Habitude. Année philosophique 1910. (Paris, 1911), p. 128 et suiv. ; Tisserand Œuvres de Maine de Biran, t. II, 1922, Introduction, p. xxiv.