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que l’évidence mathématique, puisque l’évidence métaphysique est dépourvue du symbole sur lequel le mathématicien s’appuie. Mais il convient de remarquer que ce symbole est une création, non une donnée, et l’évidence métaphysique a pour objet propre la réalité intime : c’est à la condition d’éliminer toute invention, même rationnelle, qu’elle sera en état d’obtenir, ou plutôt de retrouver, le contact avec les faits sous leur forme originelle. Selon Maine de Biran donc, l’évidence métaphysique correspond à une méthode d’expérience, méthode qui doit se faire savante si elle veut éviter les illusions de la fausse science, et qui alors et à cet égard pourra utiliser, mutatis mutandis, les progrès faits sur le terrain de l’expérience externe : « Il y a un art d’observer les faits qui se présentent d’eux-mêmes à nos sens, et un autre art pour découvrir ceux qui se cachent, pour tourmenter la nature, comme dit Bacon lui-même, et la forcer à nous dévoiler son secret. » (N., I, 74.)

10. — Deux sortes de psychologues par suite, comme deux sortes de physiciens. Les uns sont superficiels et passifs, ils reçoivent pêle-mêle toutes les impressions, sans dégager ce qui est simple et véritablement clair en soi, du composé qui ne possède d’autre clarté que sa facilité à se représenter pour l’imagination. Les autres se rendent capables de soumettre au creuset intérieur de leur réflexion le chaos des impressions recueillies, ils réussissent à filtrer les éléments chimiquement purs de la réalité : « Telle est la nature de l’esprit humain, telles sont les limites de sa science propre, que c’est un champ où il n’y a jamais lieu à faire des découvertes toutes nouvelles, mais seulement à éclaircir, vérifier, distinguer, dans leur source, certains faits de sens intime, faits simples, liés à notre existence, aussi anciens qu’elle, aussi évidents, mais qui s’y trouvent enveloppés avec diverses impressions hétérogènes qui les rendent vagues et obscurs. » (N., I, 80.)

Nous voyons maintenant comment Biran se croit en droit d’apporter une évidence d’affirmation sur le point même où des penseurs tels que Malebranche et Hume avaient apporté une évidence de négation. Malebranche et Hume ont connu seulement, ou l’évidence mathématique, ou l’évidence sensible, réduite à la sensibilité externe, tandis que « le sens intime » comporte un type spécial d’évidence dont la lumière n’est faite ni pour l’imagination ni pour la raison : « Lorsqu’il s’agit des faits du sens intime, c’est ce sens même (ou la réflexion) qui est le seul capable de les concevoir ; toute autre faculté, telle que l’imagination ou même la raison seule, serait